1er janvier 1917 : La Grande Bretagne a institué le service militaire obligatoire et ses conscrits commmencent leur instruction. Les volontaires et les réservistes ne suffisent plus à combler les vides. Le gouvernement français accorde la nationalité française aux habitants des villes de Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar au Sénégal. Ainsi, ces tous nouveaux français doivent le service militaire obligatoire comme les habitants de Dunkerque, Lyon ou Marseille. Leurs fils et petits fils seront soumis à la même obligation en 1939 et 1956. Dans les autres territoires sous contrôle français le recrutement s’accélère. Des incidents éclatent en Haute-Volta contre ce recrutement. La répression est féroce.

Le Grand-Quartier-Général annonce les pertes depuis le début de la guerre : 950 000 morts. Le gouvernement refuse que les « bleuets » de la classe 1917 soient envoyés au front. Des différends entre le gouvernement et le Grand-Quartier-Général commencent à se faire jour. L’Assemblée Nationale refuse que soient renvoyés au front les pères de 4 enfants et les veufs père de 3 enfants. On envisage de renvoyer dans leurs foyers les hommes de 48 et 49 ans. Cette fois, c’est le commandement qui refuse. Le gl Nivelle (60 ans) est nommé Commandant en chef des armées françaises du front de l'ouest par dessus la tête de généraux plus réputés comme Foch, Pétain, de Castelnau. Le gl Joffre reste généralissime des armées françaises sur tous les fronts mais sous la tutelle du Ministère de la Guerre (un poste sans pouvoir de décision) où va être nommé Lyautey. Ministre de la guerre, Lyautey va tenir 3 mois à ce poste avant de démissionner et de retourner à son cher Maroc. Il est remplacé par un civil, Painlevé.

L’hiver 1916-1917 est terriblement froid. Le vin gèle dans les tranchées. Il fait - 25°C. Le ravitaillement arrive mal. De nombreux gelés, surtout aux pieds, sont acheminés vers les hôpitaux de l’arrière. Les régiments réputés les meilleurs sont remis à l’entraînement. Le programme d’armement commence à porter ses fruits et les soldats voient arriver avec satisfaction les nouveaux canons de 155mm, des camions par centaines, de nouvelles mitrailleuses par centaines, les premiers chars d‘assaut. Pour la première fois, les Alliés ont la supériorité numérique, 190 divisions sont positionnées en France et en Belgique, les Allemands disposent de 154 divisions.

Après leur échec devant Verdun, les Allemands reculent volontairement sur une ligne de puissantes fortifications (plan Alberich). Dans le plus grand secret, leurs troupes se replient à partir du 16 mars. Le 17 mars, les Français et les Anglais s'apercoivent du repli. Les soldats alliés commencent à s'avancer sur un champ de ruines. Les Alliés reprennent ainsi sans combat de larges portions du territoire français. En partant, les Allemands ont déporté la population, détruit les maisons, détruit les voies de communication, coupé les arbres et bouché ou empoisonné les puits, emporté tout ce qui était en métal. Entre les lignes alliées et les nouvelles lignes allemandes, un désert truffé de mines. 264 villages, 225 églises et 38 000 maisons sont détruits. Les Alliés ne peuvent pas entrer au contact. Les Anglais reprennent du terrain qu'ils n'ont pu conquérir lors de leurs offensives de 1916. Ils reprennent 100 villages en 3 jours. Bapaume, Péronne, Ham, Tergnier, Noyon, Chauny voient revenir les soldats français. Le 22 mars, les Allemands ont terminé leur repli et leur résistance s'amplifie sur leur ligne fortifiée, la ligne Siegfried que les Alliés baptiseront ligne Hindenburg. Le 12 avril, les Alliés encerclent Saint Quentin, La Fère, mais sont bloqués. Après une intense préparation d'artillerie, les Canadiens prennent la crête de Vimy le 10 avril sur laquelle toutes les attaques avaient échoué. Les Britanniques, sur leur lancée, prennent Liévin et investissent Lens. Jamais une si grande avance n'avait été opérée depuis les début de la guerre. Les Français, eux, sont arrêtés par le plateau de Craonne où va se "jouer" une tragédie. Ce sera la bataille du Chemin des Dames.

3 avril 1917 Etats-Unis : Les États-unis déclarent la guerre à l'Allemagne. Cette déclaration entraîne la déclaration de guerre ou la rupture des relations avec l'Allemagne, de divers pays. Leur position est symbolique mais leur soutien aux Alliés, le bienvenu. Ce n'est pas sans conséquence pour l'Allemagne et ses alliés qui voient ainsi de nombreux pays se fermer à tout commerce. Bolivie, Brésil, Chine, Cuba, Guatemala, Haïti, Liberia, Nicaragua, Panama, Pérou, Siam (Thaïlande), Uruguay n'enverront cependant pas de troupes au combat.

Le Chemin des Dames 1917 : Dans le cadre d'une offensive générale sur tous les fronts, le généralissime Nivelle reprend à son compte une offensive prévue sur la ligne Reims-Craonne-Soissons pour avril 1917 et préparée par Joffre. D'autres offensives concernent l'Artois et la Champagne. Pour cette offensive sur le Chemin des Dames, une partie des généraux marque son opposition et le gouvernement est réticent. L'un des plus opposé au projet est le gl Micheler qui doit commander le groupe d'armées chargé de l'attaque. Mais dès février, les troupes des V° (gl Mazel), VI° (gl Mangin) et X° armées (gl Duchesne) commencent à rejoindre leurs emplacements de départ. Objectifs pour les V° et VI°, percer le front allemand de l'Aisne entre Reims et le canal Aisne-Oise, élargir la brèche, puis la X° armée s'engouffre entre les V° et VI° armées et s'avance sur l'axe Craonne-Guise, en poussant vers Saint-Quentin,. Pendant ce temps, les Britanniques avancent vers Cambrai.

Des travaux importants sont exécutés pour faciliter l'approche des troupes d'assaut : construction de 330 kms de voies ferrées, de 310 kms à voie réduite, 25 kms de routes, élargissement de celles existantes. 22 000 hommes de la Territoriale, ouvriers asiatiques, ouvriers africains, ouvriers italiens, sont affectés à ces travaux. 45 000 wagons transportent des baraques, du bois, des barbelés, des hôpitaux de campagne, des cercueils, etc... Les ruines des villages détruits servent de remblai, après cela il ne reste rien des lieux où ont vécu tant de gens. Ces travaux s'opérent dans des conditions climatiques très difficiles. Le mois de mars apporte encore de la neige et du verglas. Les Territoriaux et les ouvriers pataugent dans la boue jusqu'aux genoux. Dans les cantonnements ce n'est pas mieux, ils sont transformés en marécages. Les tentes sont arrachées par le vent. Impossible de rester au sec et de se réchauffer. Les Allemands bien à l'abri dans leurs abris attendent et ne manquent rien des préparatifs. Ils attaquent même le 4 avril dans le secteur de la V° armée et tuent, blessent et capturent 800 Français.

L'artillerie alliée atteint le nombre de 5 343 pièces de tous calibres. 26 millions d'obus sont prêts à être tirés. 54 divisions des V° et VI° armées, 18 divisions de la X° armée sont prêtes à s'élancer sur un front de 65 kms. 850 000 hommes attendent l'ordre d'attaquer. 200 chars doivent créer la surprise.

Malgré la suppression des permissions, le moral de ceux qui montent en ligne est très élevé. Un grand coup se prépare, sera-t’il décisif ? Ce sont des vétérans des offensives précédentes, fatalistes, mais nullement découragés. Ils ont formé au mieux les jeunes recrues qui ont été incorporées. Ce qui les inquiète, c’est le nombre de brancardiers qui rejoignent leurs postes et les piles de cercueils qui sont amoncelées en arrière. Ce qu'ils ne savent pas, c'est que les observations aériennes laissent penser que les Allemands sont très bien retranchés. Mais les généraux sont encore septiques sur les possibilités de l'aviation. Ce qui est plus inquiétant pour le Grand-Quartier-Général, c'est l'état d'esprit des 2 brigades russes, dont l'attention est attirée plus vers leur pays que sur le front de l'ouest.

La préparation d'artillerie commence. Le 9 avril 1917, les armées Britanniques (Anglais et Canadiens) s'élancent sur un front de 40 kms d'Arras à Lens (I° Armée (gl Horne), III° Armée (gl Allenby, V° Armée (gl Gough), IV° Armée (gl Rawlinson)). A leur droite, la III° Armée française (gl Humbert) avec 4 corps d'armée (XII°, XXXV°, XXXIII° et XIV° en réserve) doit les appuyer. Les premiers succès sont de bonne augure. Les Britanniques de la IV° Armée s'emparent de la première ligne allemande. Mais ailleurs les progrès sont plus difficiles. La crête de Vimy est conquise par les Canadiens. Un objectif qui nargue les Alliés depuis des mois. Le 13 avril, les Français de la III° Armée s'avancent. L'affaire lancée sans conviction commence mal. Le XXXIII° corps obtient quelques résultats. L'offensive est suspendue, le G.Q.G. attend les résultats de la grande offensive sur l'Aisne pour relancer la III° Armée, les Britanniques continuent.

Sur l'Aisne, les Français doivent partir le 14 avril, mais il pleut depuis le 6 avril et l'offensive est reportée au 16. Le 15 au soir, Nivelle lance son ordre du jour : " Aux officiers, sous-officiers et soldats des Armées françaises. L'heure est venue. Confiance, courage et vive la France ! ".

L'ordre de bataille est imposant :

V° Armée Mazel : I° Corps (gl Muteau) 1e, 2è, 51è et 162è Divisions ; V° Corps (gl de Boissoudry) 9è, 10è et 125è Divisions ; VII° Corps (gl de Bazelaire) 14è, 37è et 41è Divisions ; IX° Corps (gl Niessel) 17è, 18è, 152è Divisions ; XXXII° Corps (gl Passaga) 40è, 42è, 69è et 155è Divisions ; XXXVIII° Corps (gl de Mondesir) 151è, 66è et 89è Divisions et la 11è Division de cavalerie (gl Mesplé).

VI° Armée Mangin ; I° Corps colonial (gl Berdoulat) 2è et 3è Divisions coloniales ; II° Corps colonial (gl Blondat) 10è et 15è Divisions coloniales et 38è Division d'infanterie ; VI° Corps (gl de Mitry) 12è, 56è, 127è et 168è Divisions ; XI° Corps (gl de Maudhuy) 21è, 22è, 133è et 168è Divisions ; XX° Corps (gl Mazillier) 11è, 39è, 139è, 97è, 158è Divisions ; 5è Division de Cavalerie (gl Brécard).

X° Armée Duchene destinée à exploiter la percée : II° Corps (gl Cadoudal) 3è, 4è et 46è Divisions ; III° Corps (gl Lebrun) 5è, 6è et 47è Divisions ; XVIII° Corps (gl Hirschauer) 35è, 36ème et 154è Divisions ; I° Corps de cavalerie (gl Ferand) 1è et 3è Divisions de cavalerie ; II° Corps de cavalerie (gl de Buyer) 2è, 4è et 7è Divisions de cavalerie.


La coloniale

Dans la nuit du 15 au 16, cheminant par des chemins et des boyaux détrempés, l'infanterie française se rassemble sur les emplacements de départ. Il faut redire que le moral des soldats est très élevé.

Le 16 avril, à 06H00, l’attaque française débute sur 65 kilomètres de front dont 40 kilomètres au lieu-dit “le Chemin des Dames”. 360 000 hommes des compagnies d’assaut se lancent à l’attaque sous un ciel bas, dans la brume et dans le froid. La préparation d’artillerie, avec 3 500 canons et 1650 obusieurs a duré 10 jours. Le terrain est très difficile, les pentes raides, dévastées par les offensives et les bombardements précédents. Les défenses de barbelés, de pièges, de mines sont quasiment intactes malgré les 6,5 millions d‘obus tombés sur le plateau. Les Allemands sont bien abrités dans les nombreuse grottes qui truffent le plateau (appelée localement les creuzes). A 07H00 déjà, les observateurs voient les vagues d'assaut françaises se faire hacher. Ils assistent impuissants à la mort de milliers de soldats.

A la fin de la matinée, sur la droite de la V° armée, la première ligne allemande est franchie, et la deuxième ligne est entamée par le XXXII° corps. Mais sur la plateau de Craonne, l'attaque des 2 corps coloniaux échoue complètement. Au sud, le reste du XX° (gl Mazillier) et le VI° corps (gl de Mitry) sont au prise avec un ennemi bien retranché et ne progressent que lentement. Les pertes sont terrifiantes.

L'attaque du II° Corps colonial est l'une des pages les plus noires de l'Armée française. La 10è division (gl Marchand) escalade les pentes du plateau. Les hommes sont pleins de confiance. L'état du terrain et les conditions climatiques rendent l'avance épuisante pour des hommes chargés de leur sac. Le barrage roulant anticipe mal l'avance des fantassins et va se perdre en avant sur les secondes lignes allemandes. Alors c'est la surprise, dans le dos des Coloniaux, les mitrailleuses allemandes surgissent des creuzes. Prise entre deux feux, la 10e division se disloque. Tous les cadres tués, les bataillons sénégalais sont anéantis en moins d'une heure. A la 15è division coloniale, la situation n'est pas meilleure. Elle n'avance que mètre par mètre sur la première position allemande. Le 2e régiment colonial perd tous ses cadres. Le 5e colonial est anéanti dans les réseaux de barbelés intacts Tous les bataillons sénégalais sont anéantis.

A 09H00, sur l'aile gauche de l'offensive, le I° Corps colonial attaque. Il est composé de deux des meilleures divisions coloniales, renforcé de la 158e Division d'infanterie et de quelques unités non endivisionnées. C'est là aussi l'échec et la nuit va surprendre les Coloniaux accrochés aux pentes dont ils ont perdu les sommets.

A la V° Armée, cinq corps d'armée et deux brigades russes sont lancés en avant. Les Russes ont procédé à un vote pour savoir s'ils attaquaient. Les premiers résultats laissent espérer des gains appréciables. Mais très vite, les mitrailleuses allemandes se dévoilent. Après la perte de 6 500 hommes, le I° Corps s'arrête. Le V° Corps ne peut pas atteindre la deuxième ligne allemande. Seule la 9è Division parvient à atteindre cette deuxième ligne pour se retrouver isolée.

Les chars arrivent vers 11H00. C'est leur première réelle offensive. Ils ne devaient intervenir que sur la troisième position allemande après que l'artillerie allemande soit hors de combat. Ils attaquent sur la deuxième position. Ce sont des cibles parfaites pour l'artillerie allemande toujours aussi efficace. Les chars s'avancent seuls sur le champ de bataille. L'infanterie est incapable de poursuivre ses efforts et de les soutenir. Au groupement Bossut (chars Schneider), sur 82 chars mis en action, 43 sont détruits. Le résultat est nul, tout au plus les chars ont ils concentré sur eux les tirs allemands au profit de l'infanterie. Le second groupement Chaubes (chars Schneider) subit des pertes lourdes. 10 chars seulement se replient laissant sur le terrain 23 autres chars. Il faudra un an pour mettre au point la tactique d'emploi des chars avec l'infanterie.

Les Allemands contre-attaquent vers 14H30, le I° Corps colonial est ramené à ses tranchées de départ. Le temps est toujours exécrable, bourrasques de vent, boue et froid qui glacent les troupes africaines.

Pourtant l'enlèvement partiel de la première ligne entraîne la marche en avant de la X° armée. Quelle n'est pas la surprise des soldats de cette X° armée, partis plein d'ardeur, lorsqu'ils croisent des groupes de plus en plus nombreux de blessés qui gagnent l'arrière. La X° armée se replie sans attaquer, mais elle a perdu déjà 150 d'hommes fauchés par l'artillerie. Les soldats regagnent leurs cantonnements.

Au lieu des 5 kilomètres prévus, au soir du premier jour, les Français ont avancé au mieux de 500 mètres. La nuit du 16 est très pénible, les seuls abris possibles sont ceux abandonnés par les Allemands et qui sont en bien triste état. Il fait froid, il neige, il grêle. Le seul bilan "positif" de cette journée, les Français ramènent 10 000 prisonniers. Mais ils ont eu entre 20 000 et 25 000 tués, 90 000 blessés et 3 000 prisonniers.


La halte avant l’enfer

Nivelle modifie ses plans et demande d'attaquer à l'est de Reims. Le matin du 17 avril, c'est donc au tour de la IV° armée d'attaquer (gl Antoine) avec les VIII° Corps (gl Hély d'Oissel) et XVII° Corps (gl Dumas), soit 7 divisions en première ligne (16è, 34è, 45è, 33è, Division marocaine, Légion étrangère et ?) et deux en seconde ligne. En face, la I° Armée allemande a construit un système de tranchées à double et triple parallèles. Chaque sommet de collines est devenu un point de résistance.

A 04H45 dans la quasi obcurité, les Français s'élancent. La pluie et la neige ont cessé mais ont fait place à de violentes bourrasques de vent. Les 25e d'infanterie de Cherbourg, 27e de Dijon, 47e de Saint Malo, 48e de Guingamp, 270e de Vitré, 59e de Pamiers, 83e de Toulouse, 91e de Mézières, 136e d'infanterie de Saint-Lô soutenus par les 4e d'artillerie de Remiremont, 7e de Rennes et 269e parviennent à prendre quelques objectifs substantiels.

Nivelle ordonne une modification du plan initial avec de nouvelles directions de marche. La VI° armée, malgré ses pertes, progresse avec les 146e d'infanterie, 153e et 156e soutenus par le 39e d'artillerie (les 4 régiments de Toul). La IV° armée, après ses succès du matin, est bloquée le soir par des mitrailleuses allemandes. Dans les jours qui suivent le 19, le 20, le 21, le 22 avril, les Français n'avancent plus mais ne perdent pas non plus aucune position. L'offensive doit continuer malgré les rumeurs de grogne qui commencent à circuler.

Nivelle donne de nouvelles directives. Objectifs : dégager Reims en prenant les hauteurs, poursuivre l'occupation du plateau du Chemin des Dames, continuer à occuper la première position allemande. Il n'est plus question de percer le front allemand.

L'offensive du 16 avril s'est déroulée sous les yeux de députés venus assister à la "grande victoire". Parmi eux, ces officiers-députés qui alternent passage au front (généralement dans les Etats-majors) et les réunions de la Chambre des députés. Rentrés à Paris, tous font leurs comptes rendus au Ministre de la Guerre et au Président de la République. Les officiers-députés joignent le Ministre de la Guerre par dessus la tête de leurs généraux, impensable !

Le 21avril, le gl Micheler adresse une note très officielle au gl Nivelle où il prend nettement parti contre le plan des opérations. On est loin de l'autorité souveraine d'un commandant en chef. Le 22, Nivelle fait la tournée de ses généraux d'armée. Il a la surprise d'y voir son ministre Painlevé. Impensable cette intrusion du pouvoir civil. Le même jour, un député-officier se présente à l'Elysée (lt Ybarnegary) pour conférer avec le Président de la République et exposer ses griefs sur l'offensive, impensable !

Coup de théâtre, le 25 avril, Nivelle est convoqué chez le Président de la République. Rappelons, qu'à l'époque, le Président Poincaré est un personnage sans réel pouvoir. Mais il est une personnalité très écoutée. Le pouvoir exécutif est détenu par le chef du gouvernement, le président du Conseil Ribot et par les ministres, dont le Ministre de la Guerre, Painlevé. Les plans de l'offensive en préparation sont discutés, procédure impensable pour un Commandant en chef.

L'offensive est programmée, l'artillerie a commencé ses tirs, impossible d'arrêter. Nivelle repart à son Grand-Quartier-Général. Le 29 avril, Nivelle reçoit un coup de fil du gouvernement qui accepte l'offensive mais en limitant les objectifs. Nivelle s'incline. Et le même jour, le gl Pétain est nommé Chef d'Etat-major mais reste au ministère, une brêche dans le pouvoir de Nivelle.Toujours ce même jour le Grand-Quartier-Général estime les pertes de l'ennemi à 23 000 prisonniers, 294 canons et 412 mitrailleuses mais les pertes françaises sont plus lourdes encore.

Le 4 mai, la bataille reprend en tenant compte des objections des politiques.

La X° armée enlève le village de Craonne puis continue sur le plateau avec ses 18e d'infanterie de Pau, 32e de Tours, 34e de Mont de Marsan, 49e de Bayonne, 218e de Pau et 14e d'artillerie de Tarbes.

La V° armée enlève la première ligne allemande avec le 51e d'infanterie de Beauvais, 87e de Saint Quentin, 128e d'Amiens, 272e également d'Amiens, mais doit ensuite reculer.

La IV° armée enlève les pentes prévues avec ses 1er et 2e mixte de Zouaves d'Alger.

Le 5 mai, les 3 armées attaquent toujours avec l'appui de 31 chars et du 17e Chasseurs de Rambervillers.

Du 6 au 10 mai, les positions sont tenues malgré les contre-attaques allemandes et par un dernier effort des 37e d'infanterie et 79e tous deux de Nancy.

Les troupes sont épuisées, Nivelle arrête l'offensive. Les gains de territoire sont importants mais bien moindres que prévu. La rupture du front n'a pas eu lieu. De nombreux villages en ruines ont été repris. 40 000 allemands rejoignent nos camps de prisonniers. 500 canons et 1 000 mitrailleuses ont été capturés.

140 000 morts, blessés, disparus français sont à déplorer du 16 au 30 avril dont 30 000 tués. Les coloniaux ont payé très cher la conquête de quelques mètres carrés. 8 000 Sénégalais ont été tués sur 10 000 engagés. Les hôpitaux qui tablaient sur 10 000 blessés en voient déferler 100 000 dont 5 000 mourront dans les postes de secours. Les médecins sont incapables de soigner tous ces blessés qu’il faut envoyer vers l’arrière par trains entiers. Les trains surchargés mettront 10 heures pour faire 15 kms. Les 14 000 lits prévus à Paris sont vite occupés. Les autorités font transporter les blessés toujours plus loin. Certains trains mettront 48 heures pour rejoindre les hôtels du bord de Manche ou du midi de la France. Les autorités vont en envoyer jusqu’à Tarbes et Lourdes. Il semble que 650 blessés graves aient mis 56 heures pour arriver à Lourdes.

Le Chemin de Dames, Craonne, le plateau de Californie, le ravin sans nom, vont s’ajouter aux lieux où se jouent la tragédie.

Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes
C'est bien fini, c'est pour toujours,
De cette guerre infâme,
C'est à Craonne, sur le plateau
Qu'on doit laisser sa peau,
Car nous sommes condamnés,
Nous sommes les sacrifiés.

Si les gains de terrain sont conséquents, si les pertes, certes importantes, ne dépassent pas celles de Champagne, c'est une désillusion. Les chiffres les plus divers sur les chiffres de pertes commencent à circuler. Les racontars, les haines, les jalousies ressortent. L'Armée traverse une grave crise morale. Les soldats hagards, couverts de boue qui regagnent l'arrière dans leurs camions font les premiers récits des horreurs qu'ils viennent de vivre. Ceux qui restent en ligne tapis dans leurs abris boueux commencent à écrire. Les censeurs du courrier sont atterrés par le contenu des lettres.

Le 16 mai, Nivelle et Mangin sont limogés. Le gl Pétain devient Commandant en chef à l'ouest, le gl Maistre, reconnu pour sa sagesse et sa prudence remplace Mangin. Le général Mangin sera rappelé en décembre.


1916



Suite 1917