AIMABLE,  classe 1900

A Cherbourg, je suis affecté tout d'abord au dépôt des équipages, en caserne, où je vais faire mon apprentissage de marin de l'État. Mon frère se marie le 13 janvier avec une Yportaise Marie Augustine Friboulet et je ne suis pas là. Jusqu'au 11 mai 1901, je vais rester à Cherbourg. (Note : à l'époque, c'est une très importante ville de garnison, en plus des marins il y a plusieurs régiments de l'Armée de Terre : infanterie, artillerie, infanterie de marine). Puis, je quitte Cherbourg et après quelques jours de permission, je rejoins Toulon où je reste au dépôt des équipages jusqu'au 1er juin 1901.C'est là que j'embarque, comme matelot de 3ème classe, sans spécialité, sur le DUGUAY TROUIN, croiseur école de la Marine Nationale.

Avec ce navire je vais voir du pays. Fini les brumes et les glaces de Terre Neuve.

Nous partons de Toulon le 2 juin 1901 à destination de NAPLES (Italie) où nous arrivons le 4 juin (Je n'indique que les dates d'arrivée dans les ports) ensuite par le détroit de Messine nous faisons escale à MALTE le 12 juin, direction BIZERTE (Tunisie) 16 juin, puis ALGER le 24 juin, et par le détroit de Gibraltar nous arrivons à LA PALLICE (au bassin Rochefort) 5 juillet, ensuite plusieurs escales en Bretagne pour montrer le pavillon, LE CROISIC 8 juillet, HOEDICK 9 juillet, QUIBERON 10 juillet, LORIENT 11 juillet (où embarquent des polytechniciens élèves ingénieurs maritimes), SAINT MALO 16 juillet et enfin nous entrons en rade de Brest le 20 juillet, après une série d'exercices nous entrons au port de BREST le 29 juillet. Toute la fin de l'été nous restons à Brest, le navire a grand besoin de réparations. Nous repartons le 10 octobre 1901 pour arriver à SANTA CRUZ DE TENERIFE (Canaries) le 16 octobre. Ensuite les escales se succèdent, GRACIOSA (Açores) 19 octobre, encore TENERIFE (Canaries) 22 octobre, LA LUZ (Canaries) 23 octobre, SAINT VINCENT (certainement Sao Vicente, Îles du Cap Vert) 1er novembre, LA PRAIA (Îles du Cap Vert) 3 novembre. Traversée de l'Atlantique et arrivée à FORT DE FRANCE (Martinique) le 16 novembre où nous restons 12 jours, SAINT PIERRE (Martinique) 28 novembre, BASSE TERRE (Guadeloupe) 30 novembre, LES SAINTES (Île française des Antilles) 2 décembre, BASSE-TERRE 12 décembre, FORT DE FRANCE 17 décembre, SAINT BARTHÉLEMY (Île française des Antilles) 25 décembre, SAINT THOMAS (Îles Vierges) 27 décembre 1901, KINGSTON (Jamaïque) 3 janvier 1902, SANTIAGO DE CUBA (Cuba) 9 janvier, remontée d'un bras du Mississippi, LA NOUVELLE ORLÉANS (USA Louisiane) 20 janvier, plusieurs marins sont hospitalisés et soignés par l'Alliance Française, de plus nous perdons une ancre qui nous sera rapportée par un navire hollandais (conséquence l'escale de New York est supprimée), LA HAVANE (Cuba) 2 février, nouvelle traversée de l'Atlantique vers FUNCHAL ( Madère) 22 février, passage du détroit de Gibraltar et nous voila à TOULON le 3 mars 1902. Ravitaillement, changement de membres d'équipage et rapidement départ vers NAPLES (Italie) 19 mars, VENISE (Italie) 28 mars, POLA ( devenu Pulj en Croatie) 5 avril, FIUME (devenu Rijeka en Croatie) 10 avril, LE PIRÉE (Grèce) 19 avril (le port d'Athènes), BIZERTE (Tunisie) 1er mai, ALGER 8 mai, VIGO (Portugal) 19 mai, BERGEN (Norvège) 28 mai, ODDE (Odda en Norvège) 3 juin, CHRISTIANSAND (Kristiansand en Norvège) 7 juin, SALTSJOBADEN (Suède) 12 juin, REVEL (aujourd'hui Talin ou Tallinn en Estonie) 19 juin, CRONSTADT (aujourd'hui Kronstadt Russie) une île au large de Saint Pétersbourg, à l'époque très grand port russe sur la Baltique, dont les marins participèrent activement aux révolutions de 1905 et 1917. Nous y restons jusqu'au 1 juillet, nous recevons le 28 juin la visite du Tsar de Toutes Les Russies, Nicolas II, puis HELSINGFORS (Helsinki en Finlande) 2 juillet, LIBAU (devenu Liepaja en Lettonie) 5 juillet, COPENHAGUE (Danemark) 9 juillet et nous sommes de retour en rade de Brest le 21 juillet 1902, quelques jours en rade et nous entrons au port le 31 juillet après plus de 9 mois de campagne (C'est aussi long qu'une campagne à Terre Neuve mais pour des destinations que les touristes recherchent aujourd'hui). Le navire passe aux bassins de radoub entre le 9 août et le 1er octobre 1902. Il a encore une fois besoin de réparations (note : De nombreuses correspondances des commandants successifs font état de l'état de fatigue du navire et notamment du pont).

Nous appareillons de Brest l er octobre 1902 et après le séjour habituel en rade jusqu'au 12 octobre, direction SANTA CRUZ DE TENERIFE (Canaries) où nous arrivons le 18 octobre. Traversée de l'Atlantique, arrivée à BAHIA (Brésil) le 31 octobre, le navire est en quarantaine, la peste frappe la ville, 2 aspirants sont malades, nous ne repartons que le 7 novembre en direction de RIO DE JANEIRO (Brésil) pour une arrivée le 13 novembre, le voyage se poursuit, MONTEVIDEO (Uruguay) le 20 novembre, PORT DE PLATA (Argentine) le 24 novembre, et par le détroit de Magellan nous atteignons PUNTA ARENAS (Chili) le 7 décembre, Anse du glacier au milieu du détroit le 9 décembre, et LOTA (Chili) le 14 décembre où le Président de la République Argentine nous rend visite. Puis c'est VALPARAISO (Chili) où le Président de la République Chilienne visite le navire, CALAO (Pérou) où un autre président, celui du Pérou nous accueille, nous y passons la fin d'année 1902 et nous en repartons le 7 janvier 1903. Les autres escales se font ensuite en rade, rade de COQUIMBO (Chili), rade de TALCAHUANO (Chili), rade de LOTA (Chili) où nous faisons du charbon , le havre de HALE, le havre de GRAPPIER, PUERTO BUENO le 27 janvier, baie de l'isthme le 28 janvier , la baie de FORTESCUE , port GALLANT, baie SAINT NICOLAS, port BELGRANO. Nous traversons dans l'autres sens le détroit de Magellan et arrivons à SAINT CATHERINE (certainement l'île de Santa Catarina au Brésil) le 15 février dont nous repartons le 17 en direction de l'Afrique. Arrivée à DAKAR le 5 mars, et retour vers l'Europe, MALAGA (Espagne) 23 mars, PORT MAHON (Îles Baléares, Espagne) où nous perdons une ancre, MARSEILLE le 31 mars et nous voilà de retour à TOULON le 4 avril 1903 après plus de 6 mois de campagne.

Quelques jours au port de Toulon et nous repartons le 22 avril, par les bouches de Bonifacio vers LA SPEZIA (base navale d'Italie) le 23 avril, LIVOURNE (Livorno en Italie) 27 avril où les cadets de l'École Navale Italienne nous rendent visite et où nous croisons le yacht de la Reine du Portugal qui séjourne à Livourne , NAPLES où le port est très encombré par la flotte anglaise en visite. Le long de l'Italie, arrivée à VENISE le 10 mai, visite du roi d'Italie, POLA (aujourd'hui Pulj en Croatie) 17 mai, FIUME (à l'époque ville Autrichienne, aujourd'hui Rijeka en Croatie) 20 mai, RAGUSE (aujourd'hui Dubrovnik en Croatie) 24 mai, CATTARO (aujourd'hui Kotor au Monténégro) 25 mai , CORFOU (aujourd'hui Kerkira en Grèce) 27 mai, LE PIRÉE (Grèce) 30 mai, SMYRNE (aujourd'hui Ismir en Turquie) 5 juin, l'escale d'Alexandrie est annulée, la peste sévissant en ville et donc direction LA VALETTE (Malte) le 14 juin, LA GOULETTE (Port de Tunis) le 19 juin, BIZERTE (Tunisie) le 23 juin, ALGER le 7 juillet, ORAN (Algérie) où règne la typhoïde , le 13 juillet et retour vers Brest. Habituel séjour en rade du 21 au 29 juillet puis entrée au port de BREST le 1 er octobre 1903. Pas beaucoup le temps de souffler, départ le 10 octobre, direction FUNCHAL (Madère) 16 octobre, 4 hommes d'équipage et 1 aspirant sont blessés par la chute d'un tube lance-torpille, traversée de l'Atlantique, BAHIA (Brésil) le 2 novembre, SAINTE CATHERINE (Brésil) 15 novembre, il y a la typhoïde en ville, nous déplorons la mort d'un gabier, tué au cours d'une chute, LA PLATA ( Argentine) le 21 novembre, MONTEVIDEO (Uruguay)le 2 décembre, dans le port le voilier du Commandant Charcot fait relâche, nouvelle traversée de l'Atlantique, direction CAPE TOWN (Afrique du sud) 22 décembre. Nous y passons la fin d'année et nous en repartons le 2 janvier 1904 pour JAMESTOWN (Île Saint Hélène) 11 janvier, DAKAR (Sénégal) 22 janvier, SANTA CRUZ DE TENERIFE 6 février, MERS EL KEBIR (Algérie) 12 janvier, ARZEW (Algérie) 17 janvier et nous arrivons à ALGER le 20 février pour un exercice avec les torpilleurs qui y sont basés, BIZERTE (Tunisie) 28 février, NAPLES (Italie) 6 mars, LA SPEZIA (Italie) 17 mars et nous voilà à TOULON le 23 mars, quelques jours au port et départ le 16 avril vers AJACCIO 17 avril, MESSINE (Sicile, Italie) 25 avril, ALEXANDRIE (Egypte) 1er mai, BEYROUTH (Liban, à l'époque en Syrie) 9 mai, les midships profitent de l'escale pour aller en excursion aux ruines de Baalbek, Île de RHODES (Grèce) 16 mai, CORFOU 20 mai, VENISE 25 mai, FIUME 2 juin, GRAVOSA ( Kurk à l'époque port autrichien) 6 juin, SYRACUSE (Sicile) 10 juin, SOUSSE (Tunisie) 13 juin, CAP FARINA (Tunisie)17 juin, PHILIPPEVILLE (devenu Skikda en Algérie) 18 juin, l'escale se prolonge car il nous faut caréner, la coque est couverte d'algues qui ralentissent le navire, nous en profitons pour faire du charbon. Départ le 23 juin pour CADIX (Espagne) 26 juin, LISBONNE (Lisboa au Portugal) 3 juillet, COWES (Île de Wight, Angleterre) 15 juillet et nous revenons en rade de BREST le 21 juillet et entrons au port le 30 juillet. C'est ma dernière escale, je mets sac à terre le 21 septembre et je retourne à Cherbourg pour quelques temps au dépôt des équipages . Mon service militaire se termine le 1er Novembre 1904 et je retourne à Yport.

J'aurai vu bien des pays mais toutes ces escales n'ont pas été des escales de rêve. En maints endroits nous avons été obligé de charger le charbon dont nous faisons une grande consommation, travail sale et pénible, de charger du ravitaillement notamment en eau. Entre les escales nous avons également effectué bien des exercices et des manoeuvres. N'oublions pas que le Duguay Trouin est un navire école et à ce titre se doit de former les futures officiers de marine. Il y eu bien des réceptions mais elles étaient réservées aux officiers et aux midships, les matelots n'y faisant que de la figuration .

GUERRE 1914-1918

Déjà âgé de 34 ans, et marin, père de 3 enfants, je vais échapper à la boucherie des tranchées et même à l'embarquement sur une grosse unité. J'ai la très grande chance d'être affecté à Cherbourg à l'artillerie du front de mer de 1914 à 1917. Nous verrons partir pour le front tous les régiments de Cherbourg (Note : les 5ème, 25ème et 225ème Régiments d'infanterie, le 1er d'Infanterie coloniale, le 77ème territorial, le 3ème d'artillerie). Nous verrons partir en mer l'Escadre de la Manche. Je reste à Cherbourg jusqu'au 9 avril 1917. Ma navigation se limite à aller jusqu'aux grandes digues qui protègent la rade où nous montons la garde auprès des pièces d'artillerie qui ne serviront jamais. Les travaux de construction des digues ne sont d'ailleurs pas terminé. Cherbourg ne sera jamais attaqué, et nous resterons l'arme au pied.

Profitant d'une permission, j'ai le temps de faire une marée de 7 jours sur le MARIE BLANCHE, un trois-mâts de Fécamp, et je retourne à Cherbourg le 27 avril d'où je pars pour la côte grecque. (Note : La habitants d’Yport sont appelés dans la région les Grecs, aucune explication plausible n’apparaît dans ce surnom).

Fin avril 1917, je suis affecté à la Base Navale de CORFOU en Mer Ionienne (en grec Kerkira). Cette île sert de base arrière aux flottes et troupes franco-britannique qui combattent aux Dardanelles. J'ai la surprise d'y retrouver des vapeurs de Fécamp (notamment le Provence), Boulogne et d'autres ports. Ces chalutiers armés servent de croiseurs auxiliaires (Nombreux à être coulés ils manqueront à la reprise de la pêche).

Je reste à Corfou du 6 mai 1917 au 23 octobre 1918. Là non plus je ne verrais pas le feu. Ce qui me vaudra le refus de la Marine de m'attribuer le statut d'ancien combattant (Note : comme 1/3 des mobilisés de 1914-1918).

Le 23 novembre 1918, je reprends le chemin d'Yport. (Note : dès sa démobilisation Aimable reprend la pêche).

 

FERNAND, classe 1937

Dans la famille, le jour de la mobilisation de 1939 : les 3 premiers garçons de la famille (Louis, René, Émile), réservistes sont rappelés sous les drapeaux, le quatrième (Fernand) est en train d’accomplir son service, le cinquième (Bernard) échappe à la conscription car encore trop jeune. Un gendre est rappelé (Émile), deux des filles ne sont pas encore mariées. Que peut penser grand-mère (veuve depuis 1924) de cette guerre qui commence, 4 fils et 1 gendre partis ? Quel vide, même si pour la plupart, ils ont déjà quittés la maison familiale pour travailler et se marier. Émile sera libéré en 1941 pour le décès de son épouse de 21 ans. Fernand recevra une lettre l’informant du décès de sa belle sœur. Fernand ne saura rien du sort de ses autres frères, jusqu’à sa libération du camp de prisonniers. Il aura pu rencontrer René au cours de l’une de ses permissions en Janvier 40, pour son mariage avec ma mère.

Citons pour l’anecdote que le jour de son incorporation, en 1938, mon père va percevoir une capote bleu horizon qui porte comme date de fabrication, l’année de sa naissance 1917.


Plaque d’identité de Fernand

 

21 mai 1940 (note de l’auteur : lorsqu’il a été fait prisonnier Fernand appartenait au 84ème Régiment d'Infanterie de Forteresse).

Fernand raconte :

J’ai été fait prisonnier par les Allemands le 21 mai 1940 à 13h30 devant Le Quesnoy (Nord) à quelques kilomètres de la frontière belge. Depuis plusieurs jours, nous avions subi le mitraillage et le bombardement des avions allemands. Nous avions creusé nos trous individuels dans un champ devant la caserne où nous étions cantonnés et nous attendions. Au cours de la nuit, nous avons entendu passer des chars entre nous et un régiment de tirailleurs voisin. J’ai toujours pensé qu’il s’agissait de chars français qui se repliaient sans nous avertir. Puis l’infanterie allemande est apparue, nos officiers nous ont demandé de lever les bras et de nous rendre.

Note : ce que Fernand ne dit pas c’est que ses camarades et lui sont encerclés depuis 3 jours avec le 27e Tirailleurs algériens, le 5e Tirailleurs algériens, le 28e Tirailleurs algériens). Depuis 3 jours, ils subissent le feu de l’artillerie allemande et les attaques incessantes des Stukas.

Nous avons été entouré immédiatement par les soldats allemands, nous avons déposé nos armes, enlevé cartouchière et équipement. Les Allemands nous ont volé tout ce qui représentait quelques valeurs : montre, argent, bijoux. L’un d’entre nous transportait la caisse du régiment, quelle aubaine !. Ils nous ont laissé nos vêtement et notre couverture. Nous avons été immédiatement séparé des officiers et sous-officiers, seuls sont restés avec nous les caporaux.

J’ignore le sort des régiments de tirailleurs. Les Allemands ont pu récupérer un des leurs que nous avions fait prisonnier quelques heures auparavant, un motocycliste égaré (ce n’est pas certain qu’il ait apprécié de reprendre le combat).

Nous avons passé la première nuit à la belle étoile alors qu’il gelait (un 21 mai, un comble). Puis nous avons pris la route à pied vers la Belgique. Nous avons marché 6 semaines jusqu’à la frontière Belgo-Luxembourgeoise, en faisant des détours, ainsi nous avons parfois mis une journée pour atteindre un village que nous voyions devant nous à quelques kilomètres. Dans une petite ville, dont j’ai oublié le nom, nous sommes montés dans un train de marchandises, à 60 par wagon à bestiaux.

Au bout d’une journée et demie de voyage dans ce wagon fermé, nous sommes arrivé à Sagan, en Pologne occupée à quelques kilomètres de Breslau (aujourd’hui Wroclaw) dans un camp de baraquements construit par les premiers prisonniers de guerre français et polonais, capturés en 39. Le type de camp que tout le monde connaît maintenant par le cinéma, installé dans une forêt défrichée pour l’occasion. Puis la vie, c’est organisée entre travail et recherche de nourriture.

Je n’ai pas été vraiment malheureux comme prisonnier par rapport à d’autres, si ce n’était l’éloignement de la famille. J’ai été affecté dès le lendemain de mon arrivée à un commando de travail. Travail presque exclusivement de manutention dans une usine qui préparait des vivres pour l’armée allemande. Parmi nous, des boulangers fabriquaient du pain, aussi bien pour les Allemands que pour nous et nous servaient largement. Nous pouvions également détourner facilement des vivres, ce dont nous ne nous privions pas. J’ai également travaillé à de l’abattage de bois et dans des fermes. Quand je pense au sort des Russes que nous avons vu arriver en 1941. Installés dans un camp voisin du notre, sans baraque, sans nourriture, couchant dans des tranchées recouvertes de branchages. Ils ont été des milliers à y mourir.

Nous étions gardés par des anciens de 14, certains mutilés. L’un d’entre eux avait eu son bras arraché par un obus français dans l'autre guerre, il ne nous en a jamais tenu rigueur, et d’autres plus jeunes (planqués certainement ou malades sans que nous le sachions). Nous connaissions leur prénom, s’il était marié ou non. Pendant la journée, un seul d’entre eux nous gardait à l’usine. Leur sort à eux aussi était enviable, ils n’ont jamais fait de zèle, essayant de se faire oublier. Je n’ai jamais vu de civils allemands autres que ceux employés à l’usine.


Plaque de prisonnier

Nous avons entendu les bombardements par les alliés de Leipzig pourtant éloigné de dizaines de kilomètres (Note : en réalité 300 kilomètres à vol d’oiseau, ce qui indique la puissance du bombardement) et de Dresde (250 kilomètres). Nous entendions distinctement le bruit des explosions. Le lendemain, nos gardiens nous faisaient par geste signe que “ça avait dérouillé”.

Toutes les nuits nous entendions les avions, les lumières du camp étaient éteintes (Note : en violation des conventions de Genève). Nous avons été informés par nos gardiens qu’un débarquement avait eu lieu en France et qu’il avait échoué (Note : celui de Dieppe en 1942).

Nous avons vu passer également les premiers quadrimoteurs allemands qui devaient partir d’une base aérienne située à Malmitz. Ils étaient 4 qui sont passés dans un bruit que nous ne connaissions pas encore (note : il n'est pas certain que c'étaient les premiers).

Je ne connais qu’un seul cas d’évasion, un musicien parlant couramment l’allemand qui à réussi au cours de sa deuxième tentative à rejoindre Paris d’où il nous envoyé une carte. Ce modèle de carte toute préparée.

Je citerai aussi le cas de ce prisonnier de guerre français de religion juive qui à force de se montrer odieux avec tout le monde et n’hésitant pas à abuser de sa force, au soir d’une bagarre encore plus violente a été traité de “Juden” par un autre prisonnier. Ce juif a été immédiatement emmené par nos gardiens et nous ne l’avons jamais revu.

Ce qui était pénible c’était les appels, interminables. Les Allemands ne tombant jamais d’accord sur le nombre de détenus qu’ils venaient de compter (note : ceci s’est vérifié dans d’autres stalags où 2 Allemands qui comptent les prisonniers ne tombent jamais d’accord. C‘est devenu un gag dans les films traitant de cette période).

Un jour de 1943, 2 gardiens sont venus me chercher à mon travail. Il m’ont indiqué que je prenais le train pour la France et était libéré. Je pense que j’ai bénéficié de mon statut de membre du personnel de santé. En réalité, au moment de ma capture, j’avais bien appartenu à une unité d’infirmier, mais comme cuisinier. Le jour de ma capture, j’avais mon fusil comme les autres.

On m’a mis dans un wagon à bestiaux le 21 juin 1943, avec 40 autres libérés, direction la France. Je suis arrivé à Compiègne au bout de 4 jours de voyage, le train n’allait pas vite et s’arrêtait pour la nuit.

A Compiègne j’ai pris une douche, mes affaires ont été étuvées (j’ai encore les documents qui l’indique), j’ai passé une rapide visite médicale et reçu 1000 francs. A Rouen, au centre de libération des prisonniers de guerre, j’ai signé une déclaration qui m’a permis de percevoir un reste de solde représentant le temps passé en Allemagne : 1733 des francs de l’époque + 3 journées de tickets d’alimentation + 2 paquets de tabac + une ration de savon, et j’ai été démobilisé. (Note : il faut alors 13 francs minimum par jour à une famille de 3 personnes uniquement pour se nourrir très mal, un ouvrier spécialisé en usine gagne 600 francs par mois). A moi de me débrouiller avec mon bon de transport pour rentrer chez moi.

C’est là que j’ai appris que mon frère Louis n’avait pas été fait prisonnier, que mon frère Émile était revenu de son camp pour le décès de sa femme, que mon frère René avait été blessé, que mon beau-frère Émile était toujours en Allemagne (Note : il ne reviendra qu’en 1945, un des derniers libérés).

Je n’ai pas eu de rancune contre le gouvernement de mon pays puisque je suis rentré, en 1946, dans la Police Nationale que j’ai servi pendant 26 ans.

 


Souvenirs d ‘Ancien Combattant

JEAN, classe 1964

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Les sources


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