Somme 1916 : Dès décembre 1915, les Alliés ont programmé une attaque sur la Somme entre Péronne et Bapaume pour le printemps. Malgré Verdun qui dévore les divisions françaises, l’offensive est maintenue. Prévue d’abord avec 42 divisions françaises, l’attaque est réduite à 22 divisions françaises et 540 pièces d’artillerie. Les Britanniques (gl Haig), qui sont désormais un million sur le front français, alignent les effectifs de deux armées. L’offensive est devenue, par nécessité, à majorité britannique. Ce sont les Allemands qui attaquent les premiers, la 6e Brigade Coloniale sur la Somme, le 21 février 1916. C'est une "attaque de diversion" pour masquer l'attaque sur Verdun. L'attaque alliée viendra plus tard.

La zone de rassemblement est longuement préparée. Une nuée de territoriaux manie la pelle pendant des semaines. Jours et nuits des camions amènent du matériel, des cailloux, de la terre. De nouvelles routes sont construites, de nouvelles voies ferrées sont établies avec gares et quais de déchargement. Des terrains d'aviation sont aménagés. Des emplacements de batteries lourdes sont installés et les stocks de munitions sont considérables. Les ambulances ne sont pas oubliées. Des puits sont creusés. Le camouflage atteint un perfectionnement jamais atteint encore. Une noria de camions amène sans cesse hommes et munitions. L'expérience de la "Voie sacrée" a servi. Les Allemands ne peuvent pas ignorer ces grands travaux, mais leur aviation est quasiment absente du ciel de France. Les aviateurs alliés abattent les appareils allemands les uns après les autres ainsi que les "saucisses" d'observation. L'ennemi n'ignore pas qu'une offensive se prépare mais il n'en connaît pas les détails.

Voici l'infanterie qui arrive. Montent en ligne les "bleu horizon" de l'infanterie et les "kaki" coloniaux de l'Armée française, les coloniaux de l'Armée britannique, les Canadiens, les Australiens, les Hindous (l'histoire les retiendra sous le nom de Britanniques). Une immense marée humaine est prête pour un assaut qui doit "casser" l'Armée allemande engagée par ailleurs à Verdun.

L'ennemi n'a pas attendu les gros travaux des Alliés pour se retrancher. Il creuse depuis 2 ans. Ils sont 500 000 à attendre dans des tranchées couvertes et un ensemble d'abris bétonnés très profonds à l'épreuve de l'artillerie. C'est tout un réseau de tranchées qui coure en deux lignes de défense s'appuyant sur des villages fortifiés et désertés par la population. Lorsque les fantassins alliés découvriront ces défenses, ils iront de surprises en surprises.

L'artillerie alliée tire sans discontinuer sur les lignes allemandes du 25 au 30 juin 1916. 4 000 canons dont des pièces lourdes sur voie ferrée tirent jours et nuits. Les tirs atteignent les lignes allemandes jusqu'à 15 kms derrière la première tranchée. L'aviation se mêle au bombardement. Les lueurs des départs d'artillerie sont visibles à des dizaines de kilomètres à la ronde. A la vue de ce bombardement; le moral de ceux qui montent en ligne est de plus en plus élevé. Malgré la pluie qui tombe sans discontinuer, malgré le ciel gris, les soldats sont confiants, calmes et résolus.

Les soldats alliés attaquent le 1er juillet sur un front de 45 kilomètres. La pluie a cessé, mais le terrain est boueux. Il fait beau mais cela ne va pas durer. Les Français du I° Corps d'armée partent en chantant la Marseillaise. Il y a parmi eux des "vieux briscards" rescapés de plusieurs offensives mais aussi beaucoup de gamins de 18 ans raflés par la conscription. Comme le dit un témoin du 226e d'infanterie (S/lt Droit) "de vieux papas et des fils imberbes".

Les 100 000 Britanniques en lignes successives, parfaitement alignées, baïonnette au canon, sac au dos (30 kgs), marchent vers la mort. C'est leur première véritable offensive de masse.I ls atteignent rapidement Fricourt, Mametz, Montauban, La Boisselle.

Sur le front français, en quelques minutes, la première ligne allemande est enfoncée. Des villages en ruines sont pris. 5 000 prisonniers sont capturés. Le champ de bataille est couvert de cadavres allemands. Déjà les 75 collent à la première vague française. On envisage le bond vers la seconde ligne.

Dans la zone d'attaque britannique, les premiers succès passés, il en va tout autrement. L'artillerie n'a pas détruit tous les réseaux défensifs. Les attaques se brisent sur les lignes allemandes. Les rangs bien alignés de soldats sont fauchés. Les officiers anglais, badine à la main, lancent leurs troupes à l'assaut . En quelques minutes, ils sont tous tués. 20 000 Britanniques meurent le premier jour, 35 500 soldats sont blessés. Au Régiment de Terre-Neuve, ils restent 150 survivants sur un millier d' hommes. Le 3 juillet, sous la pluie revenue, les Britanniques parviennent après de lourdes pertes à s'emparer de quelques villages fortifiés et capturent 10 000 prisonniers.

Le 4 juillet, les Coloniaux français ont fait 12 000 prisonniers, capturés de nombreuses mitrailleuses et pièces d'artillerie et libérés les ruines d'autres villages. Le 14 juillet, l'avance est de 16 kilomètres, les prisonniers allemands s'accumulent.

Le 20 juillet, il fait un temps splendide, nouvelle grande attaque générale. Les Allemands ont eu le temps de se retrancher de nouveau et voici que leur arrivent des divisions retirées de Verdun où la bataille se poursuit. Si les Français arrivent à progresser et à conquérir quelques objectifs, les Britanniques se font massacrer pour prendre une seconde fois des bois conquis et perdus au début du mois. C'est un nouveau désastre.

Le 26 août, le commandement allemand est modifié, Falkenhayn est limogé remplacé par le gl Hindenburg, qui vient de remporter une éclatante victoire sur les Russes à Tannenberg.

Ceci n'influence pas l'attaque française du 31 août, où les gars du Nord (1er Corps) montent à l'assaut en chantant, drapeaux déployés.

Le 3 septembre, nouveau bombardement de l'artillerie lourde qui s'est avancée au plus près. Les 400mm, 380mm, 270mm s'abattent sur les lignes allemandes reconstituées. Le 3 septembre, des ruines de villages sont prises. Le 5, les Allemands contre-attaquent et sont repoussés. Il fait de nouveau un temps épouvantable, il pleut sans arrêt. Tout le terrain labouré par les obus est devenu un marécage. De la boue partout. Boue qui colle aux chaussures. Rien que pour lever les pieds, il faut faire une effort. Boue qui colle aux vêtements dès que l'on se jette à terre. Boue qu'il faut gratter au couteau sur les bandes molletières. Malgré tout l'avance alliée se poursuit.

Le 15 septembre, un grondement inhabituel surgit au dessus du bruit de la bataille. Des machines bizarres crachant le feu de toutes leurs ouvertures s'avancent. Elles broient les réseaux de barbelés, écrasent les nids de mitrailleuses, sont insensibles au balles de fusil. Les premiers chars ou tanks apparaissent sur un champ de bataille. L'appui de ces nouveaux engins ne suffira pas, malgré la surprise des Allemands.

Les attaques continuent jusqu'au 18 novembre. De nombreux villages en ruines sont repris. Toutes les contre-attaques allemandes sont repoussées.

Le Grand Quartier Général arrête l'offensive s'apercevant que les soldats sont épuisées. Le mauvais temps est permanent, continuer serait du suicide. A la fin de l’offensive, le 18 novembre 1916, 195 000 Français (dont 65 000 morts) sont hors de combat et 420 000 Britanniques dont 207 000 tués et disparus. Les blessés sont si nombreux qu’on les achemine vers l’arrière par trains entiers et même par des péniches qui empruntent le réseau de canaux. Les Français ont utilisés 44 divisions dont 30 passées à Verdun qui recomplétées ont été envoyées dans la Somme. Pour les Anglais, la Somme aura la même consonance tragique que Verdun pour les Français. La surprise n’a pas eu lieu, les Allemands retranchés dans leurs abris attendaient cette attaque. Leurs pertes sont inférieures à celles des Alliés. Cependant les Allemands ont été contraints de retirer du front de Verdun des divisions qui se sont fait malmener dans la Somme. Ils ont désormais 650 000 hommes hors de combat dont 105 000 prisonniers. Ils ont perdu 250 km2 de territoire Un matériel très important a été capturé dans les abris allemands ou détruit sur le champ de bataille. Après Verdun, la Somme a démontré au monde que l'armée allemande n'était pas invincible.

L'offensive allemande sur Verdun, que le G.Q.G. n'a pas anticipé et l'échec de l'offensive de la Somme entraînent le limogeage du gl Joffre (qui obtient son baton de Maréchal), Foch aussi qui commandait sur la Somme est limogé (on le rappellera plus tard après le désastre du Chemin des Dames). Les pertes sont si importantes qu'il est impossible de conserver tous les régiments à effectif complet. Les 211e, 223e, 231e, 235e, 243e, 244e, 250e, 254e, 258e, 259e, 266e, 271e, 275e, 284e, 286e, 292e, 302e,304e, 306e, 309e, 314e, 316e, 318e, 322e, 326e, 337e, 343e, 348e, 349e, 353e, 354e, 361e, 364e, 368e, 373e, 402e, 405e, 406e, 419e, 420e, 421e, tous régiments de réservistes sont dissous. Les survivants rejoignent d'autres unités.

Chez les Allemands aussi le commandement est modifié. Falkenhayn est lui aussi renvoyé. Prennent sa place Hindenburg et Ludendorff. Nous retrouverons Falkenhayn sur le front de Roumanie.

Le repos : Les seuls rares bons moments se passent en arrière des premières lignes. Même pour un Grand Quartier Général borné, il n’est pas pensable de laisser les hommes plus de quelques semaines, dans les tranchées de première ligne. Un roulement s’opère donc continuellement entre les premières tranchées et les secondes lignes. Les cheminements par lesquels s’effectuent les déplacements sont particulièrement la cible de l’artillerie allemande. Se déplacer est aussi un danger.

L’arrière, ce n’est pas très loin, quelques kilomètres tout au plus. Les hommes en profitent pour écrire, laver leur linge, se laver eux-mêmes, se débarrasser des poux de corps (les totos), manger un peu mieux grâce à la roulante, se reposer malgré le bruit de la canonnade qui résonne au loin. Ils en profitent pour terminer les bijoux des tranchées commencés dans un coin de l’abri de première ligne. Ces souvenirs que chaque famille française garde encore aujourd’hui et que nous retrouvons dans les vide greniers : bague, bracelet, vase, confectionnés avec les douilles ou les fusées d’obus. C’est ainsi que sont inventés les premiers insignes régimentaires que nous connaissons aujourd’hui.


Au repos

Le lieu de repos, c’est parfois un village ou ses ruines avec quelques habitants, c’est parfois une ferme avec ses fermiers. On s’installe où l’on peut, dans les maisons abandonnées, dans les granges et les étables, dans les caves. On dort sur la paille. Cette paille plus ou moins propre fut le lit des soldats pendant 4 ans. On bricole des cahutes. On pille également les maisons abandonnées.

A l'arrière du front, des oeuvres de bienfaisance vont tenter de maintenir au plus haut le moral. Le soldat se voit offrir une douche et un trousseau de rechange. Il peut déambuler dans les rues, flâner devant les magasins, profiter de séances gratuites de cinéma, et pratiquer le sport. Des compétitions sont organisées, aussi diverses que combats de boxe, courses en sac, course de vélos, tournois d'escrime. Les matches de football opposent les Français à nos alliés britanniques. Des artistes de renom viennent se produire (telle la grande actrice Sarah Bernhardt). La salle de spectacle n'a rien à voir avec les théâtres parisiens, c'est souvent une grange aménagée. Mais l'arrière c'est loin des tranchées et beaucoup de soldats ne profiteront pas de ces loisirs.

Le repos c'est aussi les corvées innombrables, l'entraînement avec la hantise de la prochain remontée en ligne.

Tavannes : le repos, c’est aussi le tunnel de chemin de fer de Tavannes. C'est un tunnel banal comme il en existe des centaines sur le réseau ferroviaire français. Il n'a rien de remarquable dans sa taille, 1 500 mètres de long sur 5 de large, et rien d'exceptionnel dans sa construction. Une seule voie ferrée le traverse allant de Verdun à Metz. Pour le moment, pas un train ne passe, Metz est occupé par les Allemands. Les premières troupes s'y sont réfugiées lors des premiers combats de 1914. Puis ce sont des services trouvant les lieux pratiques qui se sont installés. Des cabanes ont été construites à l'intérieur. En septembre 1916, après deux ans de guerre, il y a là : l'État-major complet de la 146e brigade, des éléments du 8e d'infanterie de Saint-Omer, des sapeurs du 8e Génie, des Territoriaux des 24e, 98e et 22e Régiments, les médecins, infirmiers et brancardiers des 346e de Toul, 367e de Toul, 368e et 369e d'infanterie, des blessés en transit entre le front et les hôpitaux de l'arrière. En tout plus d'un millier d'hommes qui se succèdent jour après jour. Les conditions de vie sont innommables. Un seul robinet d'eau au milieu du tunnel. Les hommes ne se lavent pas depuis des semaines. Des tinettes au milieu des couchettes ou ce qui en tient lieu. Ces tinettes que les Territoriaux vident tous les matins en trébuchant sur le ballast, les traverses et les rails, avec les débordements de liquide que cela comportent. Ces mêmes Territoriaux transportent les cadavres de ceux qui n'auront plus besoin de rien. Les hommes mangent, dorment au milieu de ces déplacements continuels. Un seul petit générateur alimente une lampe qui tente de percer l'obscurité. On aurait pu améliorer cette installation depuis 2 ans, mais rien n'a été fait, ni même pensé. Les entrées du tunnel sont sous le feu constant de l'artillerie allemande. A l'intérieur, le bruit est épouvantable.

Le 4 septembre 1916, une explosion secoue toute la région. Le tunnel de Tavannes vient d'exploser. Car dans ce tunnel, au milieu de tous ces hommes ont été stocké des grenades, obus et autres explosifs qui tous les jours entrent et sortent par les corvées des hommes du Génie. Au bout de deux jours, l'incendie est éteint, 1 000 hommes sont morts, une goutte dans cet océan de morts. Quelques rescapés installés aux bords du tunnel ont pu s'échapper. Personne ne saura jamais ce qui s'est passé. Personne ne pourra dire combien d'hommes ont péri.


Début 1916



Armée d'orient 1916