Les mutineries 1917 :

A partir du 16 avril, après le début de l'offensive, des manifestations de mauvaise humeur se font jour dans les unités qui doivent monter en ligne. Certaines sont si peu sûres, que le commandement doit les remplacer par d'autres pour les offensives en cours d'éxécution.

Le 17 avril, prémices des incidents qui vont suivre, dix-sept hommes d'Infanterie quittent leur ligne. C'est le seul exemple recensé d'abandon de postes devant l'ennemi. Le 29 avril, un bataillon du 20e d'Infanterie se mutinent. .

Le 4 mai, les premiers symptomes de révolte éclatent au 43è Régiment Colonial qui refuse de monter en ligne. Déjà des mécontentements s'étaient exprimés avant l'offensive, souvent par les officiers de terrain. La plupart sont des réservistes et partagent le sort au quotidien de leurs hommes. N'a-t'on pas vu un capitaine, sac au dos avec tout le barda, comme un soldat, tancer son chef de bataillon, l'informer de l'état d'épuisement de ses hommes puis s'écrouler de fatigue.

Le 128e d'infanterie attaque le 6 mai. Prend la première tranchée allemande et reste bloqué 8 jours dans les abris allemands quasi détruits. Lorsqu'il est renvoyé à l'arrière, ses cantonnements sont occupés par d'autres régiments et les hommes dorment en plein air. Comment ne pas être démoralisés ? Or le 20 mai, l'ordre est de remonter en ligne. C'est l'explosion de colère.

La 2è Division coloniale (gl Sadorge), a été décimée lors de l'offensive Nivelle. Lorsque les hommes pensent aller au repos le commandement leur demande de "remettre çà".


Retour de l'enfer

Le 16 mai, le 25è bataillon de chasseurs de la 127è division suit l'exemple des coloniaux. C'est un bataillon d'élite qui s'est illustré lors des combats de Verdun où il a repris Souville. Puis c'est au 32è d'Infanterie que se fait jour le mécontentement. Lui aussi, c'est illustré à Verdun sur la cote 304. Le 19 mai, incidents au 26è Bataillon de Chasseurs. Le 20 mai, incidents au 128è et 66è d'Infanterie. Le 25 mai, c'est à l'autre bout du front dans les Vosges qu'une section du 54è d'infanterie refuse de monter dans les camions. Le 27 mai, des incidents graves éclatent au 18è d'infanterie où des coups de fusil sont tirés (en l'air), mais des officiers sont molestés. Les "mutins" envahissent la gare de La Fère pour prendre un train. Ils sont délogés par un fort contingent de gendarmes. Incidents graves également au 23è d'infanterie où un général de brigade est pris à partie, insulté, menacé, bousculé.

Sans réelle concertation, la révolte gagne les régiments. 68 divisions vont être concernées pour 159 régiments. Mais aucune des troupes engagées sur le Chemin des Dames, aucun régiment de première ligne n’abandonne sa position. Le « boche » est toujours là. Tous les incidents ont lieu dans les unités en arrière du champ de bataille. 61 divisions ne connaîtront aucun incident ou des incidents très mineurs. Parmi les unités où se déroulent des mutineries, certaines ont eu une conduite exemplaire. Le 18e d’Infanterie de Pau a perdu 20 officiers et 824 hommes, il est cité à l’ordre de l’Armée avec 600 citations individuelles. Le 32e d'infanterie de Tours a été en première ligne du 2 au 13 mai, lorsqu’il manifeste le 17 mai. Le périmètre des mutineries est bien délimité et s'étend de Soissons à Auberive, englobant les monts de Champagne et les points stratégiques comme le Chemin des Dames ou le plateau de Craonne. Au-delà d'Auberive et jusqu'à la frontière suisse, les faits sont sporadiques et de faible intensité. Un étude montre qu'ont été touchés, 122 régiments d'infanterie (dont un territorial), 7 régiments d'infanterie coloniale, 23 bataillons de chasseurs, 7 régiments d'artillerie. C'est la 41e Division qui parait la plus touchée avec 2 000 manifestants.

Les incidents terminés, les régiments auront de nouveau une conduite exemplaire. Plus que de l’insoumission, c’est la lassitude qui génère cette conduite. Plus que d’être des mutins, les hommes sont des " grévistes de la guerre". Peu d'officiers sont molestés (le gl Bulot commandant une brigade de la 41ème division d'infanterie est détesté depuis longtemps). Aucun homme n’abandonne son poste. Depuis 3 ans, marches, contremarches, attaques, retraites, replis se succèdent sans résultats visibles. Toutes ces épreuves pour finir par mourir au fond d’une tranchée boueuse. Cette guerre n'en finit pas. Tous les ordres du jour annoncent la victoire pour demain. Mais demain sera encore comme la veille. Trop, c’est trop demander !

La répression est immédiate à la 18è Division (gl Dilleman). Au 66è d'infanterie, des meneurs désignés au hasard, sont encerclés, emmenés dans un local puis fusillés sans jugement, par leurs camarades. La répression ensuite sera plus modérée.

Mais des hommes passent au tribunal militaire où des centaines de condamnations sont prononcées. La désignation, par leurs gradés, des présumés mutins n’est pas un modèle d’équité. Par contre, Pétain ne peut sanctionner l'arrière.

Pour le nombre des soldats impliqués, un chiffre de 30 000 à 40 000 parait rencontrer l’unanimité. 629 sont condamnés à mort mais une grande partie graciée. Le nombre des fusillés donnent encore lieu aujourd’hui à polémiques, entre 49 à 75 suivant les sources (d'après Pétain 55 éxécutions dont 7 immédiates et 48 après confirmation par le Chef de l'Etat). Encore que dans ces exécutions, certaines concernaient des faits sans rapport avec les mutineries, comme deux crimes de droit commun. 27 cas rélèvent sans conteste de faits d'indiscipline collective. Méfions nous des chiffres, certaines statistiques n'hésitent pas à inclure dans les chiffres de 1917 les exécutions de toutes les années de guerre. 2 873 soldats sont condamnés à des peines de travaux forcés (455 avaient déjà un casier judiciaire). Sur le nombre de fusillés, le débat est s’en cesse relancé. Il faudra attendre les années 1990 pour qu’un gouvernement français réhabilite les mutins. Au prix de ces condamnations et exécutions, l’ordre est rétabli.

Il y aurait eut environ entre 236 et 600 fusillés (suivant les sources) dans l'Armée française (toutes années confondues), 330 pour les Anglais, 750 pour les Italiens, 48 (chiffre officiel et suspect) pour les Allemands, un grand nombre chez les Russes (surtout lors des mutineries de 1916). Les sentences de mort appliquées le sont principalement pour désertion, abandon de poste devant l'ennemi, mutilation volontaire afin d'échapper au front, refus d'obéissance, outrages et voies de fait sur un supérieur. Il y eut également parfois des exécutions sans jugement, couvertes voire requises par les règlements militaires. Ainsi, le gl Boutegourd fait fusiller sept soldats du 327è d'infanterie qui se sont repliés pendant la bataille de la Marne. Ils n'ont même pas été interrogés.

Le gl Pétain, 59 ans, réforme quelques usages qu’il conteste depuis des mois. Il ordonne : l'égalité stricte pour les tours de permission (10 jours par période de 4 mois), l'amélioration des conditions de voyage des permissionnaires, l'amélioration des cantonnements, une meilleure nourriture, la lutte contre les profiteurs en multipliant les coopératives militaires. Chaque homme doit obtenir réellement une permission tous les 4 mois (décision de 1915 très mal appliquée encore). Pétain multiplie les cuisines roulantes. Les offensives sont suspendues. Les poilus et leurs officiers de terrain ont été entendu.


Fusillé pour l’exemple

Ces mutineries se sont accompagnées à l'arrière de tentatives de démoralisation menées en sous-main par des agents allemands. Dans la zone des armées, le Grand-Quartier-Général a tous pourvoirs pour faire régner l'ordre et la justice. Il ne s'en prive pas. Dans le reste de la France, c'est au Ministère de l'Intérieur et au Ministère de la Justice de le faire et les agents ennemis jouent de la lenteur des procédures.

Les grèves ouvrières qui ont précédé les mutineries ont été occultées par la censure. Elles n'ont eu pour origine que des revendications sociales, le pacifisme n'y aura tenu qu'un rôle marginal. Les ouvriers spécialisés retirés du front se sont bien gardés d'y participer.

Des procès pour trahison s'ouvrent cependant et la justice est peu clémente même si elle frappe un peu au hasard. Ces efforts des services allemands d'espionnage sont très efficaces. Georges Clemenceau et Raymond Poicaré mènent alors une vive reprise en main du pays sans égard des situations établies. Le soldat dans sa tranchée ignore à peu près tout de ces maneuvres. Il n'aspire qu'au repos.

Le soldat allemand ne saura rien des problèmes de l'Armée française. Il est presque certain que le haut-commandement allemand soit dans l'ignorance complète lui aussi.

Le grand repos : c’est le retour à la civilisation. Après des semaines de premières ou secondes lignes, l’unité prend la route vers une ville ou un village éloigné du front. La route, c’est déjà le repos. Tout en marchant, les hommes dorment. C’est la première fois depuis des jours qu’ils marchent debout. Mais dès que la ville apparaît, les rangs se resserrent, tête haute, pour un peu ils marcheraient au pas cadencé. Le repos, c’est une grange, c’est un hangar, c’est une cave, très rarement une maison. Le repos, ce sont les journaux, l’épicerie, le café, l’église. Enfin dormir ! Il n’en est pas question, le repos, c’est le retour à la vie de garnison. Appels, contre-appels, maniement d’armes, exercices d’attaque, corvées diverses, prises d’armes devant des personnalités ou des généraux, défilés. Aucun moment de réel abandon. Si, parfois le soir, où tout le monde se retrouve au café où l’on boit beaucoup pour oublier. Dans ces villes en arrière du front, les soldats ont la surprise de découvrir tout un monde d’embusqués, de profiteurs, de commerçants sans scrupule. Pour un peu, les bonshommes regretteraient les tranchées, les copains, la solidarité. Cette solidarité des tranchées n’est pas un vain mot. Elle englobe les officiers de terrain mais exclue l’arrière. Cette arrière que les soldats, en plaisantant, " espère voir tenir".

Dans les villages de l’arrière, les nouvelles recrues arrivent, destinées à combler les vides. Vides si importants qu’il faut reconstituer entièrement les régiments ou en constituer de nouveaux avec les rescapés de plusieurs autres. Un exemple : le 19ème Bataillon de Chasseurs Alpins de Verdun pour maintenir un effectif constant de 800 combattants perdra : 71 officiers, 3 062 sous-officiers et chasseurs, soit 4 fois plus de pertes que son effectif permanent.


Un hôpital loin du front

Si en partant du secteur, sur la route se profilent des camions, c’est que l’unité change de secteur. Présages d’une offensive sur une autre zone du front. Après les camions, le train dans les célèbres wagons : hommes 40, chevaux en long 8. Il est très fréquent que ces trains empruntent les voies entourant une grande ville. Vision furtive sur un autre monde. Car le soldat bouge beaucoup dans cette guerre de positions. Sans cesse, des unités sont déplacées d’un bout à l’autre du front. Qui a creusé, pendant des jours, des tranchées dans la craie de Champagne se voit envoyé en Artois , remplacé par d’autres venus des Flandres. En Artois, il faut creuser d’autres tranchées et peut être repartir dans les Vosges dans quelques jours.

Permission : ce moment tant attendu, va sembler bien court. Partant vers l’arrière, le bonhomme découvre qu‘il y a un monde en dehors de sa guerre. Il découvre la machine qui alimente la guerre. Des centaines de convois hippomobiles et automobiles, des centaines de trains, arrivent derrière les lignes. Des milliers de coolies et de territoriaux trient, transportent, distribuent, stockent les tonnes de munitions, les tonnes de vivres qui alimentent la bataille. Des monceaux de cercueils sont érigés en pyramides. Des trains de chevaux venus du bout du monde viennent remplacer les chevaux  français qui pourrissent sur le terrain.

Le bonhomme découvre aussi que tous les soldats ne sont pas au front. A l’arrière, une multitude est à l’abri dans les services d’approvisionnement et les Etats-majors. Ces  embusqués, secrétaires, ordonnances, estafettes, préfèrent d’ailleurs ne pas rencontrer les hommes du front qui viennent au repos. La différence de traitement est trop flagrante. Comme est flagrante, la coupure entre un officier de réserve au front dans une compagnie et un officier d’active dans un état-major. Le divorce entre ces deux armées est évident et subsistera bien après la guerre. Le divorce entre les soldats et les dirigeants politiques est encore plus flagrant. En dehors des députés mobilisés, ils sont bien peu à leur rendre visite dans les tranchées. Lorsqu’ils y viennent, les bonshommes leur réservent les tranchées les plus exposées, les plus boueuses. Un seul homme politique échappe à leurs critiques, Georges Clemenceau, qui dès qu’il sera chef du gouvernement, leur rendra visite revêtu de la même redingote usée, coiffé de son éternel bonnet de police et s’appuyant sur une canne. Il écrira sur eux une phrase sans équivoque : “J’ai vu là des pauvres bougres qui sont des êtres sublimes. Quelle misère de revenir à l’arrière !”

Les rares permissions permettent de revenir au village. A partir de juillet 1915, a été institué un tour de permissions qui doit revenir en principe tous les 4 mois. Mais où aller pour les soldats originaires des villages envahis ? Les marraines de guerre vont suppléer les épouses. Pour les autres, direction la France intérieure. Un pays que beaucoup ne reconnaissent plus. La vie y est tellement différente de l’endroit où ils combattent. Et puis à quoi bon parler de l’enfer quotidien des tranchées à ceux qui ne le vivent pas. Nos soldats peuvent également constater au cours de leur trajet ( en train interminable pris quand même hors du temps de la permission), que l’enfer n’est pas partagé par tous. A l’arrière, la vie continue, plutôt bien d’ailleurs pour une partie de la population. Les théâtres et les cinémas sont ouverts, les bals continuent. Tout le monde ne porte pas le deuil de ceux qui tombent. Pour les coloniaux des régiments d'Afrique, d'Asie ou d'Océanie, le repos, c'est un camp du sud de la france. Comment les renvoyer au village ? On ne les reverrais pas.


l'arrivée du pinard


Début 1917



Suite 1917