1945 : Dieppe devient un des centres de transit où rembarquent les troupes britanniques qui rentrent chez elles. Une cité entière a été construite à cette occasion à la sortie de la ville : Terminal Transit Camp Janval Dieppe baptisé MEDLOC. Il ne s'agit pas d'un Mr Medloc, mais les initiales de Méditerranée Line of Corps. Les camps de transit des Etats Unis portaient bien le nom de marque de cigarettes comme Lucky Strike, Pall Mall, alors pourquoi pas Méditerranée ? Ce camp donne du travail à de nombreux Dieppois. Le dernier soldat britannique passera par Dieppe le 7 mai 1946. Il est cité un chiffre de 735 000 soldats ayant transité par Dieppe. Des baraquements sont également construits sur le parc Jehan Ango pour servir à l'hébergement des prisonniers de guerre revenant d'Allemagne par bateau. Les prisonniers de guerre allemands sont hébergés eux dans l'ancienne briqueterie Legros transformée en camp de prisonniers (à l'emplacement aujourd'hui du groupe scolaire de Broglie).

Dans la presse commence la longue liste de ceux qui rentrent, prisonniers de guerre, déportés politiques, déportés du travail obligatoire.

25 mai 1945, une campagne de vente de timbres antituberculeux est lancée. Cette vente renouvelée chaque année doit rappeler quelque chose à ceux de ma génération.

Les déportés commencent à parler. A Saint Vaast d'Equiqueville, Yves Boulenger raconte son calvaire au bagne nazi de Buchenwald. De larges extraits sont repris dans les Informations Dieppoises. Quel choc !

 

 4 au 15 juin, échange des billets de banque. L'échange s'effectue en une seule fois, sur présentation de la carte d'alimentation. En échange des billets démonétisés, le déposant reçoit en espèces jusqu'à 6000 f (+ 3000 f par personne nommée sur le bordereau de dépôt). Le reste est versé sur un compte. Un certain nombre de billets ont du rester entre les piles des draps des spéculateurs et des trafiquants du marché noir. Les timbres poste avaient déjà été changé le 3 octobre 1944 dans les zones libérées.

Juin 1945 : les autorités portuaires reprennent les travaux de destruction des épaves à l'entrée et dans le port. Ces travaux continueront toute l'année 1945 et l'année 1946 avec des moyens renforcés. Ces travaux sont rendus très difficiles avec les marées, le courant et dans un port en activité. Le 30 mai 1948, on peut considérer les travaux comme terminés dans l'entrée du port.

10 juin 1945 : un événement alimente les conversations. Un caporal (Abd el Maleck) du 5ème Groupement de Tirailleurs Nord-Africains de la caserne Duquesne (chef de bataillon Henriet) après avoir bu se livre à un massacre. Parti d'un café de l'Avenue Gambetta, il parcourt la ville avec son arme. Il tue 15 personnes (dont 2 inspecteurs de police) et en blesse 8 autres (dont un de ses adjudant.) Capturé enfin le 11 juin près de l'ancien radar allemand du golf et blessé, il est emmené à l'hopital puis incarcéré. Remis à l'Autorité Militaire, il sera condamné à mort le 22 septembre 1945 et fusillé le 14 février 1946. Son groupement de Tirailleurs part le 29 juin et est remplacée par le 6ème Groupement.

22 juin 1945, conseil de révision de la classe 1944. La guerre est terminée en Europe, mais le monde n'est toujours pas en paix. En Indochine, l'Armée Française a besoin de soldats et la guerre contre le Japon n'est pas terminée.

5 août : les anciens combattants et prisonniers de guerre organisent leur première kermesse annuelle. Cette kermesse va devenir au fil des années une institution, le premier dimanche d'août. Jamais les A.C.P.G. n'oublieront le sacrifice des Canadiens à qui ils doivent leur liberté anticipée. La kermesse disparaîtra au profit d'une foire à tout dans les années 2000.

 

(photos Banque de France)

 6 août 1945: les Etats-Unis lâche sur le Japon, la première bombe atomique de l'histoire. L'événement ne fait que quelques lignes dans la presse. Pourtant le monde ne sera jamais plus comme avant Hiroshima. Mais les préoccupations sont plus terre à terre.

15 août 1945 : Condamnation à mort du Maréchal Pétain au terme d'un long procès. Le Général de Gaulle le gracie et sa peine est transformée en prison à vie.

20 août 1945, la ville reçoit 448 prisonniers français de retour de Prusse Orientale. Libérés par les troupes soviétiques, après un long périple, ils ont pris le bateau à Mourmanks et les voilà revenus en France. Après s'être réconfortés au centre d'accueil du parc Jehan Ango, ils prennent le train pour Paris. Un autre bateau arrive le 7 septembre avec 737 autres prisonniers. Il n'y en aura plus d'autres. Ces baraquements reçoivent une compagnie des Compagnies Républicaines de Sécurité (la C.R.S.32) nouvellement créées. Elle partira le 29 janvier 1946 pour Le Havre.

2 septembre 1945, après le largage d'une seconde bombe atomique sur Nagasaki, c'est la fin de la guerre dans le Pacifique. Les délégués du Japon signent la capitulation sans condition de toutes leurs armées. Le monde en aurait-il fini avec la guerre ? Non car la guerre d 'Indochine commence (elle ne cessera qu'en 1954).

12 septembre 1945; des marins continuent à payer leur tribut à la mer. Le lougre Haccel Dama heurte une mine devant Le Tréport. Les 6 marins périssent sous les yeux des marins des autres navires de Dieppe qui ne peuvent rien faire.

15 octobre 1945 : la France apprend que son ancien chef de gouvernement, Pierre Laval a été fusillé dans la cour de la prison de Fresnes. Jamais un homme n'aura été aussi détesté et n'aura eu aussi peu de défenseurs.

24 octobre 1945, élection à l'Assemblée Constituante chargé d'établir une nouvelle constitution, élection de Monsieur Hertel pour la circonscription de Dieppe. Les 569 parlementaires ayant voté oui en 1940 à la prise du pouvoir par Pétain ont été déclarés inéligibles.

Les habitudes reviennent vite, le 14 décembre, la France subit sa première grève des fonctionnaires.

 

 

 

 La France n'en a pas fini avec les tickets de rationnement. Un espoir avec l'autorisation faite aux boulangers de vendre de la pâtisserie (sous conditions de certains ingrédients). Les articles concernant le ravitaillement sont encore nombreux. Ce n'est pas l'annonce en décembre de la sortie du rationnement "des galoches" qui améliore les choses. Les restrictions seraient même plus grandes pour beaucoup de produits qu'au temps de l'occupation allemande.

Avec la Libération, voilà le temps de l'épuration. Des centaines de procès vont juger aussi bien les petits profiteurs du marché noir, que les membres des partis collaborationnistes, les dénonciateurs et les tortionnaires, les patrons de presse et les journalistes. Les présidents des partis de la collaboration sont lourdement frappés. Sont prononcées plusieurs condamnations à mort, des dizaines de déchéance ou de dégradation ou d'indignité nationale (à temps ou définitive), des peines de prison (pas toujours effectuées). C'est le temps de la dénonciation, les lettres anonymes pleuvent sur les bureaux de la police, de la gendarmerie et des magistrats. On dénonce son voisin, son frère, son mari. On ne perd pas une habitude vieille de 4 ans. Les destinataires n'ont même pas changé, bien des policiers, bien des magistrats sont restés en poste après les années d'occupation. Le parfait exemple vient du sommet de la hiérachie judiciaire. Les magistrats qui jugent Pétain lui avaient prêté serment au moment de l'État Français.

Sur le port de Dieppe, il faut entamer la reconstruction, réparer les dégâts des bombardements, les dégâts du 19 août 1942, les destructions des Allemands. Des structures de 1939, il n'y a plus rien ou presque. Les villes de Dijon, d'Issoire et de Dakar envoient des subventions. Le port reçoit les harenguiers hollandais, après 5 années d'absence, quelle joie de les revoir.

Le 30 décembre, la très active Association des Anciens Combattants et Prisonniers de Guerre organise son premier arbre de Noël pour les enfants de ses adhérents. Ils sont 328 pour cette première fête. Premier arbre de Noël d'une longue série. J'aurai le plaisir d'en faire partie dès notre arrivée à Dieppe.

Pour la nouvelle année, les Normands découvrent l'ampleur de la folie et de la tragédie qui vient de frapper le monde pendant ces 6 dernières années. La France aurait perdu 450 000 de ses enfants (le bilan sera revu à la hausse).

 

 Le 11 janvier 1946, la ville reçoit avec émotions la visite de Monsieur Gardiner, ministre canadien de l'agriculture. Ce n'est pas une visite protocolaire. C'est un père qui se rend sur la tombe de son fils tombé dans le ciel de Dieppe le 19 août 1942 et qui repose au cimetière de Saint Aubin le Cauf.

Création de la Sécurité Sociale le 12 février 1946. Dieppe hébergera une Caisse Primaire.

L'appel des classes 1944-1945 est annoncé mais ces jeunes ne seront pas incorporés car un grand nombre s'étant déjà engagé dans les F.F.I. ou les Armées de la Libération, ils ont déjà bien servi leur pays.

Dieppe apprend dans le numéro des Informations Dieppoises du 5 mars que l'ancien directeur de la Vigie (Mr Poullain) a été condamné à 5 ans de travaux forcé, à l'indignité nationale à vie et à la confiscation de tous ses biens pour son action pendant la guerre.

Par la loi du 8 avril 1946, le Parlement nationalise les entreprises d'électricité et de gaz. Le décret du 21 mai 1946 concerne les usines de Dieppe dont celle de gaz de la compagnie Lebon. La passation des pouvoirs s'effectue le 1 er juin 1946. Sont également nationalisés, 4 grandes banques, les Charbonnages de France, la RATP. Les usines Renault sont elles confisquées (sans indemnités aux actionnaires).

  Passation de pouvoirs
 

 

le Versailles

 

le Londres

(photos informations dieppoises)

 Récupération des paquebots Newhaven (retrouvé à Kiel), Versailles et Rouen (retrouvé à Kiel), leur reconversion et leur réparation sont si coûteuses qu'ils sont envoyés à la ferraille. Les autres comme le Worthing et le Londres (retrouvé à Copenhague) reprennent du service. Les navires de pêche reviennent un à un, au fur et à mesure de leur libération par la Marine Nationale ou leur récupération dans les ports allemands.

Ces marins n'en ont pas finit avec la guerre. Le 31 octobre 1947, le doris Nelly Claire saute sur une mine : 2 morts, le vendredi 30 juillet 1948, explosion du Pluviose : 14 morts. D'autres drames viendront encore endeuiller le monde maritime.

3 avril 1946, le premier navire bananier norvégien, l'Atlantic Express rentre dans le port. Il livre 1 200 tonnes de bananes venant de Guadeloupe. 4 tonnes seront vendues à Dieppe. La banane, pour bien des jeunes français, c'est une découverte. Combien d'enfants nés juste avant ou pendant la guerre n'ont jamais une banane ou une orange ?

Par la ligne Dieppe-Newhaven arrivent 200 prisonniers français d'Extrême Orient, rapatriés de Chine. Ils ne font qu'un bref passage dans notre ville, prenant le train aussitôt.

Un cargo suédois livre des maisons préfabriquées en bois et des .... allumettes. Si les allumettes bien entendu ont disparu depuis longtemps, des maisons en bois sont toujours habitées aux alentours de l'avenue Jean Jaurès et de la route du Petit Appeville.

9 juillet 1946, les démineurs civils et militaires (3ème Bataillon du Génie) fêtent leur 500 000ème mine détruite en Seine Inférieure (12 millions en France). Joie contenue car le 7 avril 1945, 10 démineurs ont payé de leur vie ce travail dangereux à Biville sur Mer. Quelques mots sur le travail effectué par les prisonniers de guerre allemands et les volontaires étrangers, mais lors d'un décès aucun nom n'est publié. Pendant des années encore des Normands vont mourir, victimes de ces mines.

Les Dieppois (nous sommes 21 800) fêtent la remise en service du pont Colbert, terminés les longs détours par le fond du port. Le dock flottant est lui aussi réparé, symbole de la reprise de l'activité portuaire.

 

 Le 18 août 1946, Dieppe fête la venue du Premier Ministre Canadien MacKenzie King venu se recueillir sur la tombe des soldats morts le 19 août 1942 et aussi entretenir la collaboration entre le Canada et Dieppe.

Le 23 août 1946, les mesures de restrictions de papier sont levées pour la presse quotidienne. Désormais les journaux pourront s'imprimer sur 4 pages. Par contre en décembre, le gouvernement interdit la consommation de l'électricité pour les particuliers pendant 2 jours et met en place des obligations horaires pour les entreprises.

16 septembre 1946 : les personnes qui ont aidé les aviateurs alliés atterri sur notre sol reçoivent du gouvernement britannique un diplôme commémoratif.

A la rentrée scolaire s'ouvre un établissement que des centaines de jeunes filles vont fréquenter, le Cours Complémentaire Commercial Fénelon, pour donner du travail au jeunes filles de plus de 14 ans.

Le 13 décembre 1946, le gouvernement italien informe qu'il met à la disposition de la France des travailleurs pour aider à la reconstruction. Il y a toujours des prisonniers de guerre allemands employés à des chantiers ou dans l'agriculture. Ils sont quelques uns à s'évader pour tenter de regagner l'Allemagne pendant que des milliers d'entre eux s'engagent dans la Légion Etrangère pour aller combattre en Indochine, façon de se faire oublier.

 

 

coll.GuyNaze

 VERS 1947-1948-1949