L'année 1947 commence avec des informations importantes concernant la vie courante. Le gouvernement ordonne la baisse de tous les prix de 5 % (police et gendarmerie sont chargés de veiller au bon étiquetage). Mais le pain, la farine, les produits de régime, le sucre, le riz, le café, le chocolat, le thé, le vin, la confiserie, la boucherie, la charcuterie, le lait, les conserves, l'huile, la margarine sont toujours soumis au rationnement. Il faut ajouter que depuis la Libération les prix ont considérablement grimpés, les réduire de 5% est une moindre mesure. Par suite de la pénurie de charbon, des trains sont supprimés. Le carburant est toujours soumis à un contingentement, la mesure continuera en 1948 et une partie de 1949 (pour ce produit seuls les commissariats délivrent des bons). L'hiver est particulièrement froid, il fait - 11° dans la région.

Le 16 janvier, Vincent Auriol est élu Président de la République. La IVème République met en place ses institutions. Le maire de Dieppe, en colère, alerte les autorités afin de résoudre le problème d'approvisionnement en viande. Depuis 15 jours? la ville n'est pas livrée.

Après les premiers travaux de dragage du port et l'arrivée de 2 paquebots, le Londres (remis à neuf) et l'Arromanches, c'est la reprise régulière de la ligne Dieppe-Newhaven.

En février 1947, une polémique se fait jour sur la couleur des ampoules de phares de voiture, blanches ou jaunes. Nous la verrons ressurgir dans les années 1980. Pour l'heure, elles seront comme on peut, il n'y a pas de colorant pour les teinter en jaune.

Sur Dieppe, les autorités changent quelques dénominations de rues. La rue Chanzy devient en partie rue de la République, la route du Havre devient avenue Jean Jaurès. Il est aussi procédé aux baptêmes de rues non dénommées. Les noms de résistants (Kérelo, Fix, Renou, ... ) et les noms de batailles de la guerre qui vient de se terminer (Bir Hakeim, El Alamein) sont attribués. Les membres de la Défense Passive sont à leur tour honorés, médailles et lettres de félicitation leurs sont décernées. C'est à ce moment que les Dieppois apprennent que certains résistants n'ont pas été tués par les Allemands comme on le croyait encore. Georges Fix par exemple a été exécuté par un milicien (Lahaye), lequel est jugé et condamné à mort.

Le 1er mars, nouvelle baisse autoritaire des prix : - 5%.

 

Arromanches

collect C.Petges

 

Décorations et diplome de Mr Georges Dauzou

collec. personnelle A.Dauzou

(tous droits réservés)

 Des travaux de construction sont décidés. Le Casino, la salle des fêtes (rue Thiers), la gare maritime quai Henri IV(détruite depuis), la poste principale, le collège Jehan Ango (devenu lycée) vont voir leur dossier se constituer. Des chantiers vont s'ouvrir avec plus ou moins de retard sur les écluses, la poissonnerie de détail, la déviation de la rivière, le pont sur l'Arques, les jetées. La Manufacture des Tabacs détruite le 19 août 1942 ne sera jamais reconstruite. Sur son emplacement sera réalisé un immeuble d'habitations.

Le 1er mai, la ration de pain est encore réduite malgré les 35 000 tonnes de blé fournies par les Etats Unis.

Le 1er juillet, il est procédé à une refonte des catégories de consommateurs, désormais ce sera : E enfants de 0 à 4 ans, J enfants de 4 à 10 ans, A adolescents de 10 à 21 ans, M adultes de 21 à 70 ans, V vieillards au delà de 70 ans, car personne n'envisage la fin des tickets de rationnement.

Avec l'été, ce qui intéresse beaucoup les Dieppois, c'est la reprise de la saison des courses hippiques, le Tour de France cycliste et la sortie de la première 4 CV. Ces événements font oublier que les restrictions sont de plus en plus sévères. En août, la ration journalière de pain est de 100 gr (E) à 250 gr (M). Elle sera encore réduite en septembre à 200 gr. La ration semestrielle de sucre est de 1500 gr (E) à 750 gr (V), la ration journalière de lait est de 3/4 de litre (E) à 1/2 litre (J). Pour les autres catégories, c'est suivant les disponibilités, la ration de fromage 100 gr par mois pour toutes les catégories. En septembre, la pénurie est telle que les boulangeries ferment 3 jours par semaine et ne doivent produire que des pains de 2 kg, 700 gr et 300 gr, pas de pain fantaisie.

 
 15 août 1947 : La municipalité récupère le camp de transit (3) britannique pour en faire des logements sociaux. Les autorités baptise ce village : Camp de Transit de Janval. Il s'agit réellement d'un village avec écoles (dans les anciennes cantines militaires) et commerces. Les rues sont baptisées d'un nom en rapport avec le Canada (rue de Montréal, rue de la Chaudière, rue Mackensie King....). Ces logements ont l'eau courante, le tout à l'égout, des toilettes et un petit coin de jardin. Bien des maisons du centre ville ne sont pas si bien équipées. Seul problème lors de l'inauguration du village le 12 décembre, il n'y a pas encore l'électricité. Elle ne sera rétablie que le 18 décembre 1947. 308 familles se sont installées avec leurs 380 enfants. Solution provisoire qui va durer plusieurs dizaines d'années. La population atteindra 1 500 personnes. Les derniers habitants partiront vers 1975. Des bâtiments en demi-lune servant de hangars aux troupes britanniques sont également utilisées comme logements. Juste à coté de la cité provisoire, des petites maisons en dur seront construites en 1954 par les compagnons d'Emmaus de l'Abbé Pierre, les dernières seront détruites en 1994. 4 générations se seront succédées dans ces habitations provisoires.

 

L'école des filles à la cité provisoire

(coll JD)

 

Les baraquements sur le parc Jehan Ango (l'ancien bassin Bérigny) sont reconvertis en bureaux des administrations, Ministère de la reconstruction., bureau de la main d'oeuvre, bureau des poids et mesures. Les organisations syndicales et patriotiques dissoutes par Vichy reprennent leurs activités. Elles utilisent également ces baraquements. Il y a également des terrains et salles de sport. Une laiterie s'y installe. Les derniers bâtiments seront détruits dans les années 1970.

Octobre 1947, les enfants de la guerre retournent à l'école pour une nouvelle rentrée, souvent dans des locaux provisoires (1). Ces enfants nourris aux rutabagas et aux topinenbours reprennent espoir en un monde meilleur. Quand ils seront adolescents puis adultes, ils vont modifier la société qui va connaître des mutations énormes en 25 ans. Mais sans qu'ils s'en doutent encore, plusieurs milliers de ces garçons, tout souriants, vont vérifier sur le terrain les leçons de géographie apprises à l'école. La guerre les appellera en Indochine, au Maroc, en Tunisie et en Algérie.

31 octobre 1947 : le doris Nelly-Claire saute sur une mine oubliée devant Puys. 2 morts de plus de ces engins diaboliques qui n'ont pas fini de tuer.

  

La rentrée des garçons

 Les grèves de 1947 qui restent dans les mémoires ont également leurs conséquences à Dieppe. Cependant, je n'ai pas trouvé trace d'interventions musclées des forces de l'ordre à Dieppe.

En décembre, le manque de papier entraîne la réduction des journaux qui comme en 1940 sont imprimés sur une feuille recto-verso.

Le 9 décembre 1947, les habitants de Neuville-les-Dieppe apprennent enfin le sort de leur maire, Jean Puech. Déporté à Dachau, il est mort le 14 janvier 1945.

Le journal du 26 décembre relate en première page l'arrestation par 2 agents de police (Delamare et Boutin) de 2 voleurs multirécidivistes, appartenant au grand banditisme, en train de piller les services du rationnement. (2). Les voleurs n'ont jamais cessé leurs activités durant ces années difficiles et pas uniquement pour se nourrir.

 1948 - Les Dieppois qui s'échangent leurs bons voeux au début d'année 1948 ont un espoir : que les conditions de vie s'améliorent. Pourtant l'année sera encore difficile. Ce qu'annonce la presse n'a rien pour les réjouir. Il est créé une nouvelle catégorie de cartes de rationnement pour les futures mamans. Les restrictions d'électricité sont toujours en vigueur : interdiction d'éclairer vitrines et motifs lumineux, réduction de consommation pour les industriels au dessus de 100 kw, interdiction du chauffage électrique, réduction de moitié de la consommation pour les cafés et restaurants entre 16 et 20h, probabilité de coupure totale de courant 2 jours par semaine. Ce ne sont pas l'arrivée au port de charbon anglais en janvier, l'autorisation de la vente de pâtisseries (sans lait ni farine) en février, la mise en vente en mars de 1400 kgs de tétines, la vente libre du poisson en avril, qui rassurent les gens. Tout est encore rationné en ce début d'année. On verra même être réglementée la vente des tuyaux de poêle en février. En mars, la municipalité instaure la gratuité des fournitures scolaires dans toutes les écoles publiques. Devant la hausse galopante des prix, le gouvernement impose en avril une baisse générale de tous les prix. Suivant les produits la baisse varie de -5% à -20%. Dans la semaine du 4 juin, la vente de viande est suspendue, pas d'arrivage. En juillet, l'arrivée d'une aide américaine de 2 tonnes de vêtements et jouets et de 3 tonnes de vivres est réservée aux enfants nécessiteux. Les alliés ayant abandonné en France un important matériel, celui ci est récupéré, les Grands Garages de Normandie (aujourd'hui Rédélé) se font une spécialité de la remise en état des camions et Jeeps. La longue grève des mineurs du Nord en octobre sera une contrainte de plus, l'aide du charbon anglais est très appréciée.

En janvier, arrivent sur Dieppe les premiers corps des soldats mort au combat ou en captivité et les corps des victimes civiles mortes au cours de l'exode. Les autorités ramènent à la demande des familles ces corps pour les inhumer selon la volonté de leurs proches (le transport est payé par l'État). Chaque semaine, des corps de Dieppois morts à l'extérieur reviennent au pays. Les soldats ont droit aux honneurs militaires rendus par le 8ème Bataillon d'Infanterie en garnison à Dieppe. Les civils n'y ont pas droit. Toute l'année 1948 puis l'année 1949 verront le retour de dizaines de corps.

On découvre que les prisonniers de guerre allemands sont toujours là, même s'ils sont devenus "travailleurs libres". C'est à l'occasion de la directive qui porte leur salaire à 20 frs par jour, dont la moitié seulement leur est payé, que nous savons qu'ils sont toujours employés dans l'agriculture. Les procès de collaborateurs se font moins nombreux, cependant un informateur de la gestapo vient d'être condamné à 20 ans de travaux forcé, 20 ans d'interdiction de séjour et à l'indignité nationale à vie. Il doit d'avoir sauvé sa tête au fait qu'il ait été lui même torturé.

La ville continue ses travaux de reconstruction. En février, la forme de radoub est remise en service. En mars, commencent les travaux sur le front de mer. En ma,i inauguration du Monument aux Morts agrandi de deux ailes. En juillet, construction du cinéma Rex ; en juillet, inauguration du Musée du Vieux Château ; en septembre mise à la disposition des sportifs du stade de Caude -Cête. Les restrictions n'empêche pas la fête, chaque quartier, chaque association organise sa kermesse. Un concours de maisons fleuries est organisé. En décembre, les arbres de Noël se succèdent, celui des Anciens Combattants réunit 450 enfants. L'année est également marquée par la visite de plusieurs personnalités canadiennes, le général Crérar commandant la Première Armée Canadienne de 1944, le général Foulkes commandant la 2ème Division d'Infanterie Canadienne qui a libéré Dieppe en 1944. On imagine l'émotion de ces hommes et de celle des Dieppois.

 

 

Les chalutiers "américains et canadiens"

coll.Guy Naze

 Le 30 avril avec l'arrivée du Charles Massot commence la livraison de chalutiers de 32 mètres, construits aux Etats Unis : Gris-Brumaire, Doux-Frimaire, Edouard-Gougy, Lucien-Gougy, Lucien-Marie, Pierre-Desceliers, Armand-Crespin et au Canada : Vert-Prairial, Gai-Floréal, Robert-Thoumyre, Etienne-Rimbert. Les chalutiers américains tiennent mal la mer et avant de partir en campagne, ils devront être modifiés. En avril 1949, est livré l'Abraham-Duquesne construit au chantiers de Provence à Port de Bouc. En août 1949, ce sont les Ateliers et Chantiers de la Manche à Dieppe qui lancent leur premier chalutier, le Lieutenant-Herbez pour un armement de Concarneau. Pour que les chalutiers livrent leur pêche dans de bonnes conditions, la Chambre de Commerce construit une nouvelle halle aux poissons (modifiée elle est toujours en place). Après 4 ans de non-pêche, c'est une période faste.

Plusieurs des navires arrivés dans la joie générale connaîtront un sort funeste. Le 30 juillet 1948, le chalutier Pluviôse saute sur une mine au large de la Cornouaille (14 morts, 4 corps seulement seront retrouvés). En octobre 1949, c'est la perte du chalutier de Fécamp, le Duc-Richard. L'Abraham-Duquesne disparaît corps et biens le 25 janvier 1955 à la suite de l'explosion d'une mine ramené dans son chalut. Le 14 mars 1956, 17 marins perdent la vie dans le naufrage du Vert-Prairial. L'Etienne-Rimbert devenu le Jeanne-Gougy fait naufrage le 3 novembre 1962, 6 rescapés et 12 morts. Le Robert-Thoumyre a lui été coulé par un cargo norvégien plus de 10 ans auparavant. Le Gai-Floréal aura eu plus de chance, échoué sur les côtes de Cornouailles, il pourra être renfloué.

 

En octobre, le grand événement du moment, c'est l'intoxication de 300 habitants de Neuville. Après enquête il s'avère que de la poudre anti-doryphore à l'arsenic a été mélangée à de la farine. Comment cette poudre est-elle arrivée là ? L'enquête ne donnera rien.

1949. Ce qui préoccupe les Dieppois en ce début d'année, c'est la grippe. Des mesures sont prises : suspension des consultations de nourrissons, restrictions des visites aux malades à l'hôpital. Les bons de rationnement existent encore pour certains produits et de nombreux produits sont taxés : beurre et fromage, viandes, pâtes, confiserie, biscottes, bière, conserves, textiles, chocolat, café, même le rhum. Echappent à la taxation, le vin et les liqueurs (ouf !). En février, la viande sera absente des commerces. Mais l'espoir est là car de plus en plus de produits industriels sont désormais en vente libre. Le commissariat au ravitaillement est dissous en février. En avril , les produits laitiers sont en vente libre mais à prix imposés. En juin, c'est le carburant qui est en vente libre, mais à double tarif, 20 litres avec bons à 43,20f le litre et au delà c'est : 63,20f le litre.

Pour reconstruire le pays, l'Etat lance un grand emprunt national au taux de 5%. Il est publié un nouveau bilan humain de la guerre. Au 1er jenvier 1949, la France a perdu 600 000 morts et s'ajoutent 850 000 décès dus à la surmortalité. Ce bilan de 1 450 000 morts semble plus fiable que tous les chiffres annoncés jusque là. Dieppe publiera son propre bilan en août 1949 : 207 victimes civiles (584 blessés), 117 militaires et F.F.I. tués, 38 fusillés et déportés tués. Au cours de 44 bombardements, 718 immeubles ont été totalement détruits.

La presse parle d'un nouveau moyen de communication : la télévision (il faudra attendre encore 10 ans pour que les postes apparaissent en nombre dans les foyers). La presse fait également l'éloge d'un sport encore inconnu à Dieppe, le Rugby avec la constitution de la première équipe au Dieppe Universitaire Club (D.U.C.). A cette occasion sont rappelés les règles élémentaires de ce sport. Ce club-Omnisports existe toujours.

En août, une série de fêtes vont tenter de faire oublier aux Dieppois les temps difficiles, la Grande Quinzaine (avec un lot qui fait rêver, une Ford Vedette), les fêtes du 15 août, la célébration du 19 août, la kermesse des anciens prisonniers, les fêtes de la mer, les fêtes de quartier, les kermesses et les bals.

Le port est débarrassé des épaves. Mais s'il retrouve avec la paix un trafic conséquent, c'est un déclin inexorable qui s'annonce. Enserré entre ses falaises, le port ne peut pas s'étendre et le trafic est détourné sur Rouen et le Havre. De querelles de personnes en luttes syndicales, le port périclite. Le port de pêche qui fut l'un des plus important de France se fait même dépasser par un autre port comme premier port de Normandie. De premier port européen pour le transport des bananes, le port de Dieppe voit ce trafic disparaître et les quelques navires fruitiers venant de Maroc ne remplacent pas cette activité perdue. La ligne transmanche Dieppe-Newhaven disparaît pendant des années, elle tente aujourd'hui de retrouver une clientèle perdue. Les bassins sont bien vides.

1949 - Les conditions d'hébergement sont toujours aussi difficiles, le plan de reconstruction ne suffit pas. Beaucoup de familles sont sans toit. La cité provisoire n'a pas suffit. Une trentaine de familles trouvent refuge dans d'anciens bâtiments militaires servant de réserves de l'autre coté de la rue abritant cette cité provisoire. Les bâtiments en demi-lune vont abriter 200 personnes jusqu'en 1968. La Cité Michel a été passée sous silence car ses habitants n'ont jamais fait parler d'eux. Aujourd'hui, une maison de retraite dans l'enceinte du Château Michel a remplacé ces vieux bâtiments.

 

La plage débarrassée de ses épaves retrouve ses vacanciers

 

1950, Une autre vie commence.

Pour l'auteur du site aussi, il entre à l'école primaire.

 

 (1) En 1957, je ferai mes 3 ans du Cours complémentaire Richard Simon dans un local provisoire.

(2) Cette nouvelle mineure me concerne personnellement. L'un des 2 gardiens de la paix est mon père nouvellement engagé, suite aux purges, dans la police. C'est la seule fois de sa carrière où il sortira son arme de service de son étui.

(3) Voir le site Internet http://membres.lycos.fr/laciteprovisoire/index.htm