AMÈRE VICTOIRE

A 11 heures, le 11 novembre 1918, les clairons et trompettes sonnent le cessez le feu sur toute la ligne de front. Les cloches des églises qui avaient sonné le tocsin 4 ans plus tôt annoncent aux Français que la guerre est terminée. Un témoin, l’abbé Lissorgues, soldat dans l’infanterie, raconte : “Ceux qui me lisent auraient été profondément étonnés s’ils avaient constaté le calme qui régna dans les régiments. Pas un cri, pas une beuverie, on s’aborde pour se serrer les mains, la joie est trop profonde, trop grave pour s’exprimer en paroles ou en clameurs.” Les soldats qui ont été pendant 4 ans à quelques secondes d’une mort annoncée ne sont pas encore prêt à se réjouir. 1560 jours de guerre trouvent leur terme.

Le 11 Novembre, c’est la Victoire et la fin d’un cauchemar. Dans tous les pays victorieux, c’est la liesse populaire, surtout pour ceux qui sont restés à l’arrière .La joie n'est pas partagée par  les blessés et les malades, ni par les veuves et les orphelins.

De par le monde, 9 355 500 soldats sur l’ensemble des fronts n’attendent que ce jour (dont 2 834 000 soldats français).

8 millions 700 000 soldats français ont été mobilisés pour cette guerre, appelés métropolitains, appelés coloniaux, volontaires français, volontaires coloniaux et volontaires étrangers. Les classes 1914 à 1917 ont vus leurs jeunes incorporés à 90 %. 32 classes d'age (1887 à 1919) ont été mobilisées (naissances de 1867 à 1899).

Un million 397 000 morts (selon les chiffres officiels)  ne reverront jamais leur ville ou leur village. 830 morts par jour de guerre. Il y eut des jours calmes, d’autres terrifiants à la mortalité supérieure à 10 000 morts. Le chiffre d’un million quatre cent mille morts est contesté par quelques historiens, y compris d’anciens généraux de l‘époque, qui accuse le Grand-Quartier-Général d’avoir sous-estimé volontairement les pertes. Le nombre de 2 millions à 2,5 millions de morts pourrait être vraisemblable si nous ajoutons aux morts sur le terrain, les blessés qui vont mourir ensuite dans les mois suivants.

3 600 000 hommes ont été blessés (dont la moitié au moins 2 fois, parfois 3 ou 4 fois). On estime à 500 000 ceux d'entre eux qui vont mourir de leurs blessures dans les années qui succèdent à la guerre. Jamais une nation n’a encore consenti un sacrifice aussi important. Le monde paysan est le plus touché par la guerre : 500 000 morts, 400 000 blessés. De plus 30 000 anciens combattants affaiblis par les années de guerre vont mourir de la grippe espagnole en 1918 et 1919 (comme Guillaume Appolinaire).

Regardez le monument aux morts du moindre petit village de nos campagnes ! Le voyageur attentif verra que le nombre de noms gravés sur le monument est parfois supérieur au nombre actuel des habitants. Citons quelques exemples : le petit village normand de Vattetot-sur-Mer en Seine Maritime. Début 1914, il compte environ 500 habitants, 61 de ses fils vont partir à la guerre, 22 vont y mourir (dont 4 au cours de la même bataille du coté de Lens). Dans le sud, à Sallèles d’Aude, 1 929 habitants en 1914 : 84 morts. Citons d’autres exemples : celui de cette famille du Morbihan de 8 garçons et 3 filles. 6 fils sont mobilisés et 1 gendre. A la fin de la guerre : 3 tués, 1 disparu, 3 blessés (dont l’un 3 fois). Les 2 survivants ont eu de la chance, ils sont des classes 1919 et 1921. La ville de Toulouse perd 4 000 de ses fils, tués au combat. Le canton de Fronton (30 kms au nord de Toulouse) perd 341 hommes dont 290 cultivateurs.

Le maire de Mende qui a tenu son journal pendant la guerre cite pour sa commune de 7 000 habitants des chiffres effrayants. Les jeunes (et moins jeunes) Mendois, sont partis à la guerre. Les habitants qui restent vont voir déferler sur la ville 12 000 soldats et 1 500 réfugiés dans les derniers jours de 1914. Tous les locaux publics sont occupés, puis transformés en hôpitaux. Les combattants Mendois sont incorporés en majorité aux 53e et 14e Régiments d’Infanterie. A la seule bataille du 13 juin 1916, il y a 120 Mendois tués, 300 blessés et 750 disparus. Quelle tragédie pour cette petite ville. Quel pénible devoir pour le maire qui va aller voir chaque famille et tiendra lui-même à inscrire sur le registre d’état civil le décès de son fils unique.

Le 25e Régiment d’Infanterie que nous avons vu partir de Cherbourg au tout début de la guerre perd 48 officiers et 2 414 sous-officiers, caporaux et soldats. Son régiment de réservistes, le 225e Régiment d’Infanterie perd 36 officiers et 1 020 sous-officiers, caporaux et soldats.

Toutes les classes sociales sont touchées, le Maréchal Foch perd un fils et un gendre le même jour le 22 août 1914. Le Général de Castelnau perd 3 fils, au tout début de la guerre en août 1914, ses 3 autres fils mobilisés échappent au carnage. Le futur Président de la République, Paul Doumer perd 4 fils. Ce n’est pas une consolation pour les autres familles. La majorité des pertes se situe dans le monde rural. A la mobilisation, trois quarts des mobilisés sont des ruraux. Sur 10 000 combattants, des recherches démontrent qu’il y a 7 900 paysans ou ruraux. Des villages voient si peu d’hommes revenir qu’ils ne se remettront jamais de cette catastrophe. Au cours de vos vacances, si vous passez par un petit village désert, regardez le monument aux morts. La longue liste inscrite dans la pierre vous explique mieux qu’un long discours pourquoi ce village est quasi abandonné.

En 1918, personne ne compte plus le nombre de malades, d’invalides, de gazés, incapables de travailler : 700 000 dit-on. 300 000 d‘entre-eux sont aveugles ou blessés à la face (les gueules cassées). Ils seront deux millions à recevoir du Ministère des Anciens Combattants une pension d’invalidité totale ou partielle. Chaque village à ses amputés, qui d’un bras, qui d’une jambe. On va leur offrir des emplois réservés : gardiens de square, de collèges, de musées, et même gardiens de phare. Ils vont recevoir de belles médailles qui seront accrochées en bonne place dans leurs maisons. Quelle récompense !


Démobilisation

Qui console les 600 000 veuves avec enfants et les 760 000 orphelins et qui pense aux 210 000 morts civils ? Qui pense aux milliers d’hommes traumatisés à vie qui se réveillent au milieu de la nuit au moindre bruit, qui se terrent au fond de leur maison les jours d’orage ? Peu de monde car chacun est touché lui-même.

Et pour ceux qui, après leur démobilisation vont trouver leur ville ou leur village détruit par les combats, il va falloir commencer une nouvelle vie. Ces démobilisés fatigués vont être pourvus d’un mince pécule, d’un costume taillé (fort mal) dans les surplus de drap de la troupe et avantage significatif, ils peuvent garder leur casque. Les embusqués de l'arrière sont fortement inquiets de la démobilisation de ces milliers de soldats. Malgré l'admiration portée aux combattants, une sourde inquiétude se manifeste. Et si ces combattants demandaient des comptes aux profiteurs ! Vaine inquiétude, car la démobilisation (échelonnée dans le temps) va se passer le mieux du monde. Les combattants ne réclament rien, n'exigent rien. Ils rentrent chez eux, se dispersent. Suivant leurs moyens financiers, ils prennent le train (3ème classe), le métro, le taxi et les plus pauvres rentrent à pied. Alors les profiteurs vont relever la tête.

Le poilu :

Rappelons nous qu'avant 1915, le soldats est parti à la guerre dans la tenue de 1870, pantalon garance et veste bleue. Et que les Coloniaux sont montés au front dans leur tenue de tradition. Mais c'est du poilu en bleu-horizon dont tout le monde se souvient, oubliant que les Régiments Coloniaux sont en kaki. Seule la couleur n'est pas la même, le reste de l'équipement est identique. Regardons-le ce soldat de 1915 à 1918.


L’immortel poilu de 1914/1918, entré dans l'Histoire.

Le surnom de “poilu” n’a que très rarement été employé par les soldats au front. Ils s’appelaient entre eux les “Bonshommes ou les Bounhommes”. Ce surnom de poilu était employé par l’arrière et n’a été utilisé par tous que vers 1920.

Les godasses à clous, un pantalon de drap bleu au bas rétréci sur lequel il enroule les bandes molletières. La vareuse de drap épais sur la chemise en flanelle. La capote au pans relevés pour faciliter la marche. Le harnachement de cuir comportant bretelles, courroies, passants et boucles, supporte les cartouchières, l’étui à baïonnette. Sur le dos le sac, dans celui-ci ses rares affaires personnelles et les vivres de réserve. Sur le sac et l’entourant sur 3 côtés, la couverture, la toile de tente et sur la couverture, la gamelle. En bandoulière, les musettes qui contiennent au combat les grenades et les munitions, le bidon. Le poilu porte sa part du matériel collectif de campement (marmite, seau de toile, ou moulin à café ), un outil de terrassement (pelle ou pioche), l’étui de masque à gaz. A la main, ou à l’épaule, le fusil Lebel modèle 1893 au calibre 8 mm. Sur la tête, le casque de fer. Son équipement hors du fusil et des munitions et des vivres pour plusieurs jours pèse 30 kilos. Avec tout ce barda, il faut cavaler, ramper, sauter mais surtout marcher. Tout ce fourbi ballotte, cliquette. Pour s’équiper convenablement, on s’entraide. A la halte, on évite de se "débrêler". Alors le soldats s’assoit comme il peut, appuyant le sac sur un muret, un arbre.

A partir de 1915, le poilu fera toute la guerre ainsi vêtu, il ira en permission ou au repos dans la même tenue. Parfois au repos, il pourra retirer le casque qu’il remplacera par le képi de feutre de 1914 ou le bonnet de police et retirer la lourde capote. On le verra alors dans sa chemise de flanelle effectuer les corvées de cantonnement, la pipe vissée au coin de la bouche. Son bagage sera allégé lors de la création des cuisines roulantes, il n’y a plus ainsi à coltiner de matériel de cuisine.

Les survivants se sont jurés que ce serait la der des der. Ils vont être bien déçus. Deux générations ont été sacrifiées. Ils avaient 18, 20, 25, 35, 45 ans. Beaucoup avaient les mains déjà usées, les ongles cassés par des années de travail. Dans les combats sont morts : écrivains (Charles Péguy, Louis Pergaud, Alain Fournier, ...), boulangers, savants, tourneurs, ingénieurs, sportifs (Jean Bouin, ....), allumeurs de réverbères, valets de pied et valets de ferme, instituteurs, coiffeurs, commerçants, garçons de café, employés, facteurs, bourreliers, colporteurs, paysans, propriétaires terriens, marins, catholiques et protestants, bouddhistes et musulmans, juifs et libre penseurs, animistes et shintoïstes. Ceux qui devaient devenir l’élite de la nation sont morts à la guerre. Sur les 800 élèves de 1914 à l’Institut des Sciences Politiques, il en reste 72 à la fin de la guerre. Un instituteur sur quatre mobilisés est mort à la guerre (8 471 morts). Les savants qui auraient pu trouver les remèdes contre le cancer, la leucémie, sont-ils morts dans les tranchées ? Nul ne le saura jamais. Ils reposent côte à côte à Douaumont, à Notre-Dame-de-Lorette, dans 253 grandes nécropoles nationales, dans des milliers de tombes dans les cimetières de nos villes et villages et dans des milliers de tombes improvisées au milieu de nos champs et de nos bois. A leurs côtés, des Anglais, des Canadiens, des Algériens, des Néo-Zélandais, des Indiens, des Marocains, des Belges, des Sénégalais, des Italiens, des Grecs, des Portugais, des Brésiliens, des Boliviens, des Indochinois, des Japonais, des Américains, des Serbes, des Chinois, des Sud-Africains, des Turcs, des Suisses, des Hollandais, des Arméniens, des Egyptiens, des Luxembourgeois, des Danois, des Malgaches, des Russes, blancs, jaunes et noirs, et tant d’autres venus du monde entier. 35 pays et leurs colonies ont pris part à la guerre.


Houdetot en Normandie

Au delà de la brutalité des chiffres, chaque décès d’un père, d’un frère, d’un fils est une tragédie pour les familles, et toutes les familles françaises sont touchées. 11 % de la population active masculine sont restés sur les champs de bataille, 34 pour 1 000 de la population française totale, un adulte sur 10, 1 homme sur 5 en âge de travailler est mort ou inapte, 1 combattants sur 4, 1 officier sur 3 sont morts, chiffres effrayants. La pénurie en hommes est telle que les paysans sur le chemin du retour du front sont invités partout, car on essaie de les retenir. Pierre Jakez Hélias cite le cas de ces soldats bretons qui ont économisé le prix de billet de train en rentrant à pied chez eux et qui sont arrêtés tout au long du chemin pour être embauchés. Lorsqu’ils rentrent au village, c’est pour s’apercevoir que les jeunes femmes l’ont quitté pour travailler à l'usine en ville. Alors eux aussi vont repartir chercher du travail ailleurs, laissant les villages à la garde des anciens.

Les blessés 

Dans la zone des combats, des villages entiers sont effacés de la surface de la terre et ne seront jamais reconstruits. 812 000 habitations ou immeubles sont en ruines. 54 000 kilomètres de route sont à réparer. Mines, usines, filatures, brasseries sont en miettes. Ce ne sont pas toujours les combats qui ont causé ces destructions. C'est la volonté délibérée de l'occupant allemand. Jamais un occupant depuis les Huns ne s'était comporté de la sorte. Au mépris de toutes les lois de la guerre, il a déporté des milliers de travailleurs. Il n’y a plus de flotte marchande détruite par les sous-marins, même des voiliers de pêche ont été coulés. Trois millions d’hectares sont incultes pour des dizaines d‘années, il y a trop d’obus ou de débris métalliques dans le sol. Des milliers d’arbres sont si truffés d’éclats de métal que les bûcherons ne peuvent les utiliser. Par contre, les stocks de matériel militaire sont impressionnants.

Des milliers de tombes improvisées ont été creusées dans les champs. Les promeneurs apercevront pendant des années, des officiers roder dans la campagne, notes à la main, à la recherche des disparus. Ils retrouveront des corps pendant des années. En 1991, 21 corps sont découverts dans un champ à côté de Verdun, parmi eux un corps que l’on pourra identifier comme étant celui de l’écrivain Alain Fournier, lieutenant d’infanterie, mort avec ses hommes.

L’Europe est ruinée, sa population productive décimée. Des milliers d’enfants sont malades, bronchite, rougeole, diphtérie, tuberculose et ne verront pas la fin de l’année. La France devient pour des années une nation de femmes seules et de vieilles filles submergées par les vêtements de deuil.

Les nations européennes perdent leur leadership au profit des États-unis. La carte politique de l’Europe est redessinée, de nouveaux états voient le jour. Les 4 grands empires européens ont disparus. Le II ème Reich est tombé à Verdun, l’Empire Tsariste est emporté par la Révolution d’Octobre, l’Empire Austro-Hongrois est éclaté, l’Empire Ottoman s'est volatilisé.

Une idéologie nouvelle se met en place en Russie. Utopie qui va durer 80 ans, qui va entraîner le monde dans des dépenses militaires inconcevables, mener le monde au bord de la catastrophe nucléaire. Mais tout ceci, les Français l’ignorent encore.

Soixante-cinq millions de soldats ont été mobilisés de par le monde. Neuf millions d’entre eux sont morts.

Le 14 juillet 1919, un grand défilé de la victoire rassemble toutes les nations victorieuses sur les Champs-Élysées, les troupes passent sous l’Arc de Triomphe de l’Étoile, ce sera la dernière fois de l’Histoire.

Le défilé de la Victoire restera un grand moment. Derrière la musique du 28e Régiment d’Infanterie qui ouvre le défilé, 1 000 mutilés défilent. A leur suite Foch et Joffre précèdent les détachements des Alliés, (par ordre alphabétique) : Américains, Belges, Britanniques, Canadiens, Italiens, Chinois, Japonais, Grecs, Portugais, Roumains, généraux en tête. Viennent ensuite les troupes françaises dans une forêt de drapeaux. 9 généraux précèdent les détachements des Grandes Écoles, l’Armée d’Afrique, les Légionnaires, les Chasseurs à pied, les Fusiliers marins, les Fantassins, l’Artillerie, la Cavalerie à cheval et les Chars, l’Aviation. Le défilé dure 3 heures. Sur ces survivants planent les ombres de 1 400 000 morts.


Défilé de la Victoire, 14 juillet 1919

La victoire ne signifie pas que tous les soldats rentrent immédiatement chez eux. La démobilisation va se dérouler sur plus d’un an. Les derniers participants à la guerre ne reviendront chez eux que fin 1919. Ils seront remplacés au sein des armées par la classe 1919 qui n’a pas été mobilisée pour la guerre.

Le 11 Novembre 1920, un hommage solennel est rendu aux morts de ce conflit, que l’on appelle désormais « la Grande Guerre », à travers un Soldat Inconnu qui symbolise tous ceux qui sont morts. Ces restes sont déposés au Panthéon au coté de ceux des grands hommes. Depuis le 29 janvier 1921, il repose sous l’Arc de Triomphe de l’Étoile à Paris. Depuis ce jour, tous les soirs, une manifestation a lieu pour rendre hommage aux morts français de tous les conflits.

Seule consolation, à la paix signée en 1919, l’Alsace et la Moselle reviennent dans la communauté nationale. L’Allemagne est condamnée à entretenir sur son sol des troupes d’occupation et doit payer à la France une  indemnité de 132 milliards de marks or, compensant les dépenses de la France entre 1914 et 1918. Cette indemnité ne sera jamais payée. La dette sera même suspendue lors de la Conférence de Lausanne de 1932.

Dans sa grande générosité, la République va refuser à un tiers des mobilisés (environ 2 600 000 hommes), le statut de combattants. Ceux qu’elle considère non combattant ne recevront ni médaille, ni diplôme, ni pension. Faut-il croire que les territoriaux notamment n’auront couru aucun risque. La République sera plus généreuse avec ses généraux, bien à l’abri dans leurs châteaux, 8 sont fait Maréchal de France. Aucun général ne passera en jugement malgré les fautes lourdes qui ont été commises. On peut limoger un général, mais pas le juger même si on estime sa conduite douteuse.

21 ans plus tard, la tragédie recommencera, le temps qu’une nouvelle génération se prépare.

Tous les 11 novembre, dans chaque ville et village de France, les anciens de 14 se rassemblent pour honorer leurs morts. Après avoir sorti de l’armoire, le meilleur costume (celui des noces et des enterrements) et avoir épinglé les médailles suivant l’ ordre réglementaire, ils vont se retrouver devant le monument aux morts, en bon ordre derrière le drapeau de l’amicale. Monsieur le Maire prononce son discours devant les enfants des écoles qui chantent la Marseillaise. Les femmes ne sont pas là. Toutes ces femmes qui pleurent un mari, un fiancé, un frère, un fils n’ont que faire de ces cérémonies du souvenir. Elles prient tous les soirs devant le portrait du disparu.

On va abandonner la litanie des noms des morts au combat, c’est trop long. Ensuite un vin d’honneur est servi par les femmes des conseillers municipaux dans la salle des fêtes. Un repas est servi quand l’amicale est riche. Parfois un piquet de soldats de la garnison locale rend les honneurs, un clairon sonne “Aux morts”. Au fil des années, les rangs vont se clairsemer. En 1945, les rangs vont de nouveau se remplir des anciens de 39-40, de ceux de 1944-1945 puis en 1963 des anciens d’Algérie. Ces derniers prendront en main les destinées des amicales. Pendant bien des années les enfants des écoles ne viendront plus à cette cérémonie (jour férié). Puis de nouveau, ils reviendront aux cérémonies avec leurs instituteurs.

En 1940, ces anciens de 1914-1918 sont mobilisés par le gouvernement de Vichy dans la Légion des Combattants, vaste organisation civile de défense du régime d'où va émerger un organe de répression : le Service d'Ordre Légionnaire et la Milice. La plupart des Anciens Combattants auront quitté à ce moment cette Légion des Combattants.

La construction des monuments aux morts a donné lieu à bien des débats au sein des conseils municipaux. C’est au village qui fera le plus beau, le plus original, qui choisira le plus beau symbole. Mais il ne faut pas mettre trop cher quand même. Va t-on déplacer le calvaire ? Où construire ce monument ? Pour tout arranger, il y a parfois au sein du village plusieurs associations rivales d’anciens combattants. Au front, sous les défroques militaires, ils étaient tous égaux. Devenus des civils, le clivage a repris ces droits. Chacun a retrouvé ses activités et a rejoint sa classe sociale. Le temps passe qui les oblige à se rassembler, comme au front.

Les monuments aux morts continueront à donner lieu à de vives discussions au sein des conseils municipaux. Voilà qu’ils gênent le stationnement des voitures. Ils tiennent jusqu’à 2 places de stationnement parfois. Ils vont être déménagés de place en place au gré des aménagements des communes.

A l’heure où les derniers survivants de cette guerre nous quittent à plus de 100 ans, gardons-nous d’oublier les pantalons rouges de la bataille de Belgique, de la victoire de la Marne, les capotes bleues et kaki du Chemin des Dames, de Verdun, de l’Artois, de Picardie, de Champagne, des Vosges et des Dardanelles.

Au 11 novembre 2004 : ils sont 15 survivants.

Au 8 mai 2005 : ils sont 9 survivants.

Courant 2005 quelques anciens combattants qui avaient désiré se faire oublier se font connaitre et seront reconnus comme tels.

Au 8 mai 2006 : ils sont 6 survivants.

Au 15 avril 2007, ils sont encore deux.

Selon la volonté du Président de la République, le dernier poilu de 1914-1918 devrait avoir des Obsèques Nationales. Gageons que ce soit une promesse tenue. En avril 2007, l'un des deux survivants refuse ces Obsèques Nationales.


Outre-mer, sur Mer et dans les Airs



L'entre deux guerres