Comme en Algérie il n'y a toujours pas la guerre mais des opérations de maintien de l'ordre, et qu'il ne peut être délivré de Croix de Guerre, le gouvernement crée une nouvelle récompense : la Croix de la Valeur Militaire (11 avril 1956).
Le maintien sous les drapeaux pour une période de 6 à 9 mois au delà de la durée légale est décidé. Ainsi un conscrit à son arrivée à la caserne ne sait pas pour combien de temps il va servir.
Les effectifs avec le rappel du contingent passent de 80 000 hommes en 1954 à 100 000 hommes en 1955, 200 000 hommes en 1956, 405 000 hommes en 1957, dont 80 % d’appelés. A partir de septembre 1956, les premiers rappelés sont libérés. Si leur rappel s’est effectué dans le chaos, leur libération par petits groupes passe presque inaperçue dans l’opinion. Une opinion publique d’ailleurs plus préoccupée par ses week-end et ses vacances. Le gouvernement vient d’instituer la 3ème semaine de congés payés.
Beaucoup d’appelés sont résignés, les tâches que le commandement leur confie sont principalement du quadrillage, les transports et la garde aux frontières. Les troupes gardent les ouvrages d’art, surveillent les récoltes, les voies ferrées, escortent les trains. Des milliers d’hommes cantonnés dans des petits postes isolés à effectifs réduits (parfois un gradé avec une poignée d ‘hommes), généralement tous rappelés et appelés, doivent tout faire : tenir le terrain, monter des embuscades, contrôler, gérer, instruire et soigner la population. On va demander aux appelés de tirer sur des suspects et de distribuer, bonbons et friandises aux enfants. Des appelés vont être incorporés dans les compagnies de propagande (compagnies de haut-parleurs et de tracts). Les appelés vont être chargés d’emmener les Algériens aux urnes lorsqu’il sera nécessaire. Les infirmiers, les instituteurs de métier vont être chargés de missions (peu en vérité car ils sont déjà officiers ou sous-officiers sur le terrain). Comme il n’y en a pas suffisamment, des ouvriers, des cultivateurs vont s’improviser infirmier, instituteur sans formation ou si peu. Ils soignent chacun jusqu’à 300 personnes par jour, instruisent chacun des classes de 150 enfants. Leur dévouement se paie au prix du sang. Le F L N. ne peut supporter cette image de la France généreuse.
Les régiments d‘intervention, et les bataillons de marche (les 10e et 25e divisions de parachutistes comptent 90% d’appelés) , pourchassent et combattent les rebelles. Dans ces unités d’intervention, officiers, sous-officiers et hommes de troupe marchent, mangent et souffrent ensemble. Ils mènent une vie dure. En 1957, le 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes passe 27 jours par mois dans le bled. Le 9e R C P passe 60 jours de suite en opérations. Le froid nocturne (la neige tombe aussi en Algérie), la canicule, la boue, la poussière qui s’insinue partout, la saleté, sont le lot quotidien de ces hommes. On couche à la belle étoile, au mieux sous une guitoune. On mange les rations de combat. On ne change pas de vêtements pendant des semaines. Pourtant, on essaie de se raser chaque matin. On vit au jour le jour ne sachant pas de quoi demain sera fait. Et de temps en temps, on revient à la base arrière pour y retrouver un confort minimum et s’y doucher. Puis le cycle recommence jusqu’à la blessure ou la quille.
Les habitants d’Algérie réservistes, européens et musulmans sont incorporés dans les Unités Territoriales. Mobilisables en permanence, ces hommes ne sont tenus qu’ à 1 jour de service tous les 10 jours. Conservant chez eux leur uniforme, ils ne reçoivent leurs armes et équipements qu’au P.C. des mains de celui qui les précède et les remettent au suivant. L’ouvrier, le commerçant, l’employé, le patron quitte son emploi pour quadriller la ville, contrôler les identités. A Alger, ils sont 25 000 pouvant maintenir un effectif permanent de 2 500 hommes. De certains de ces territoriaux, l’armée va faire des unités opérationnelles qui entreront en campagne.
Ce soldat qui débarque un matin de 1956, du Ville d’Alger, du Ville d’Oran, du Kairouan, ressemble beaucoup aux G’ Is qu’il a vu passer devant chez lui 12 ans plus tôt. Il porte aux pieds les informes chaussettes kaki, les grosses godasses (certaines encore à clous), les guêtres US à lacets, le treillis de toile verdâtre, aux larges poches sur le côté. Ce treillis semble toujours bien trop grand pour lui. C’est son treillis n°1 qu’il a été invité à revêtir pour voyager, les autres sont moins reluisants. Sous le treillis, la chemise beige, (en été cette chemise est enlevée et la veste de treillis est portée à même la peau). Il a reçu dans son paquetage le caleçon US et le tricot de corps, il a souvent préféré mettre du linge personnel. Il est toujours enserré dans son harnachement de cuir (le même que son père en 1939) portant les cartouchières. En opérations certaines unités seront équipées de brêlage de toile. Ensemble compliqué de grosse toile, d'oeillets, de passants et de mousquetons d'où pendent la gourde, les grenades, un poignard ou la baïonnette. Le "gus" a mis dans sa poche son calot ou son béret. Les casques pendent sur le sac. Ce casque lourd si pratique pour laver les chaussettes ou ramasser les mégots les jours de corvée de quartier. Ce soldat porte sur ses épaules le lourd paquetage qui contient tous ses biens. Sur le dos, le sac en toile avec d’autres affaires. Il tient à la main son fusil. D'autres soldats feront le voyage dans la tenue n° 1, celle de sortie avec son pantalon trop court, son blouson resserré et ses magnifiques chaussures basses rougeâtres.
Des troupes d’intervention se distinguent par de légers détails vestimentaires. Les paras par leur béret rouge, les fusiliers marins par leur bonnet de marin au pompon rouge, les légionnaires par leur képi blanc ou leur béret vert. Ils sont chaussés de rangers ou de pataugas. Les troupes d’intervention percevront la tenue léopard ou camouflée. Quelques unités se coifferont d’une drôle de casquette inspirée de celle de l’Afrika korps de Rommel à double visière.
Le commandement va améliorer l’accueil sur les quais d’Alger, avec musique et rafraîchissement. Les dames de la Croix Rouge font leur apparition. Puis cet accueil va rapidement disparaître, les appelés des classes 1957 à 1967 ne le connaîtront pas. En 1957, les soldats n’arriveront plus en unités constituées. Si le paquebot est plein à ras bord à son arrivée à Alger, les soldats sont rapidement dispersés en petits groupes qui prennent le chemin des régiments, d’où ils sont à nouveau dispersés vers les bataillons et d’unités en unités le soldat va se retrouver dans un poste tenu par une section perdue au milieu de nulle part.
Qui sont-ils ces garçons que la France envoie en masse en Algérie. Ils viennent de partout, de tous les coins de France métropolitaine, des départements d’outre-mer, des colonies, de l’étranger aussi (les Français établis à l’étranger reçoivent aussi leur feuille de route). Ils viennent de tous les milieux, de toutes les classes sociales, ouvriers, cultivateurs, employés, artisans, commerçants, artistes, sportifs (les sportifs de haut niveau regroupés au Bataillon de Joinville iront en Algérie). Être appelés en Allemagne n’est pas un gage de sécurité, après les classes, ils sont envoyés aussi en Algérie. Appelé du contingent, il faut un très solide piston pour échapper au voyage sur Alger ou Oran (le commandement va profiter des dimanches pour transférer certains des pistonnés vers l’Algérie, pendant que leurs protecteurs sont en week-end). L’appelé qui a déjà un frère en Algérie, peut échapper à cette affectation, mais pas nécessairement les chargés de famille car des rappelés ou appelés sont père de famille. Ils font bien jeune sous le casque lourd, ces gamins de 20 ans. Dès la première embuscade, dès les premiers coups de feu, dès les premiers morts et la découverte des atrocités, ils vont vieillir en un instant de plusieurs années.
Que sait-il de l’Algérie le gus qui débarque du paquebot à Alger ou Oran ? Pas grand chose, sinon que c’est en France, comme l’instituteur lui a appris à l’école primaire il y a déjà 6 ou 7 ans. Que c’est un pays de soleil, pauvre et montagneux. Qu’il y a Alger, Oran, Bougie, Constantine. Quand au reste ? Les Arabes, de quoi se plaignent-ils, ils sont Français, non ! Est-ce que les Corréziens, les Aveyronnais, les Picards, les Savoyards, les Bretons font la guerre à leur pays ? Les Européens d’Algérie, des Français aussi. Sûrement que ces riches colons ont quelque chose à se reprocher, sinon ces quelques Arabes ne se seraient pas révoltés ! Tous ces clichés ! Le gus mettra peu de temps à s’apercevoir que tout est a apprendre.
22 octobre 1956
L’aviation française détourne sur Alger un avion d’Air Maroc qui effectue la liaison Rabat-Tunis. A son bord : 5 des dirigeants historiques de la rébellion. Ils resteront en captivité jusqu’à la fin de la guerre. Mais leur arrestation n’influence en rien les attentats et les enlèvements.