1939 : une erreur de doctrine et/ou une erreur de stratégie?

L’Armée française est devenue une armée en trompe l’œil. Elle présente tous les aspects d’une armée puissante et moderne. Dans la réalité, elle est divisée, mal organisée. La grande faiblesse de l’armée de 1939 tient dans sa victoire de 1918. Victoire si chèrement payée de plusieurs centaines de milliers de morts que l’ État-major général et les politiciens ont transformé l’armée des offensives à outrance de 1914 en armée défensive. Le plus actif dans cette doctrine est le Maréchal Pétain, un moment Ministre de la Guerre. Après la construction de fortifications, l' Armée est retranchée derrière sa ligne Maginot (du nom d’un ancien combattant de la Grande Guerre, ministre de la guerre). Dans les faits, sur le terrain,  ce sont 2 lignes de fortifications, celle des Alpes, de la frontière suisse à la Méditerranée et celle du Nord de la frontière suisse à la Mer du Nord.

Toute la stratégie est basée sur la défensive : Un énorme budget, engloutissant une bonne part des crédits militaires, a été consacré à la construction de puissantes fortifications. Des milliers d’ouvrages en béton sont construits de 1929 à 1936 sur 465 kilomètres de frontière. Les plus puissants ouvrages établis tous les 6 kilomètres doivent stopper toutes les incursions ennemies. Entre ces 40 gros ouvrages (aux équipages de 400 à 1 200 fantassins),  70 ouvrages plus petits (60 à 200 hommes), des centaines de casemates ont été construits. Le plus petit de ces ouvrages doit pouvoir être appuyé par 4 ouvrages conséquents (2 à droite, 2 à gauche). En avant de cette ligne de fortifications tout un réseau d'obstacles anti-chars, d'observatoires et d'abris d'intervalle. Le tout hérissé de canons de 75, de 81 et de 135mm.  La réduction des budgets va faire que la ligne du nord qui devait s’étendre jusqu’à la Mer du Nord n’est pas construite le long de la frontière belge. Le commandement compte sur les lignes de défenses belges le long du canal Albert. Devant le Rhin, les constructions d’ouvrages se voient allégées, le fleuve devrait faire barrage. Dans les Alpes, on s’appuie sur les anciennes fortifications existantes, parfois des forts vieux de plusieurs siècles. Pour former les équipages de ces ouvrages, le commandement crée les Régiments d’infanterie de forteresse. Équipage, car leur vie va ressembler beaucoup aux équipages des navires de guerre. Dans les ouvrages, ils vont mener une vie de reclus dans des espaces clos. Et cette situation va durer des mois. Entre ces gros ouvrages des régiments sont disposés en couverture. Au moins, ceux ci sont au dehors. Mais en 1939, la ligne a vieilli, et les casemates ne sont pas toutes équipées d’armes antichars ou antiaériennes modernes.

- Le nombre de chars fait illusion. Ils sont de qualité, avec un blindage supérieur à ceux des Allemands. Mais ces chars, pour la plupart, sont ventilés par bataillons dans les divisions d’infanterie, en soutien des fantassins vainqueurs de 1918. Des divisions motorisées sont encore en formation, 3 divisions mécaniques légères et 3 divisions cuirassées. Nous savons que les Allemands utiliseront leurs blindés en grandes unités autonomes (10 panzerdivisionen) appuyés par des fantassins portés (les panzergrenadiers). Les équipages des 2 475 chars Renault, Hochkiss et FCM vont livrer un combat héroïque. 

- Les avions alliés sont dispersés sur un vaste territoire allant de la Mer du Nord à la frontière suisse. L'aviation française ne compte pas moins de  1300 avions. Mais ces appareils sont de conception ancienne. Les Amiot, Farman, Bloch,  Morane Saulnier, Caudron sont déjà surclassés avant de prendre l'air.  Seuls les Dewoitine 520 sont des appareils modernes (il en existe 90) et des Curtiss américains sont en cours d'acquisition. La flotte de bombardement comporte 5 Lioré et  Olivier vraiment modernes, autrement dit rien ! Ces avions ne seront jamais utilisés dans l’attaque des colonnes allemandes, contrairement aux forces de la Luftwaffe qui appuierons les panzerdivisionnen.

- L'artillerie française est de qualité avec ses canons de 45, 75, 105 et 155 et surtout  le canon antichar Hotchkiss de 25 capable de percer tous les blindages allemands. Mais l'artillerie sera aussi mal utilisée. 

- Les transmissions sont totalement déficientes. La radio est quasiment inexistante. En pleine bataille, des témoins verront les officiers se ruer sur le téléphone public pour demander des instructions. Le téléphone est encore manuel et ce sont des opératrices du Service des postes qui mettent en rapport les interlocuteurs. Les chars manoeuvrent au fanion car peu de blindés ont la radio. Seule la Marine échappe à cette critique.

- L'administration militaire est d'une rigueur extrême. Des milliers d'armes vont rester dans les dépôts jusqu'à l'arrivée des Allemands. Les Intendants refuseront de les livrer aux troupes de passage. A Brest en juin 1940, 5 000 fusils en réserve " il faut un ordre du Ministère pour les sortir". De ministère, il n'y en a plus, parti sur les routes. 500 blindés seront capturés à Gien, les Intendants militaires ne les ont pas laissé partir.

- La Marine dispose d'une système de transmission incomparable et est devenue la deuxième du monde (derrière la Royal Navy) avec ses 3 cuirassés (classe Lorraine), un porte-avions (Béarn), 19 croiseurs dont 2 récents (Dunkerque et Strasbourg) , 66 torpilleurs et contre-torpilleurs, 75 sous-marins. Seules les unités légères pourront appuyer les forces terrestres lors de la Campagne de France. Si la Marine a pu évoluer c'est aussi parce qu'à sa tête ont été placé des ministres conscients de la tâche à accomplir (Georges Leygues et Piétri) et des amiraux compétents (Salaün, Violette, Durand-Vièl, Darlan) sachant évoluer avec leur époque et qui ont su présenter au parlement des projets cohérents.  Ses faiblesses : le manque d'engagés et le manque d'appelés avec un service ramené à 12 mois (hors,  il faut du temps désormais pour former les spécialistes que réclame la nouvelle marine) ; le manque de radar ; la faiblesse de la détection sous-marine et le manque de D.C.A., mais sur ce dernier point il n'y a pas que la Marine. Depuis plusieurs années, la Marine est commandée par l'amiral Darlan, l'Amiral de la flotte, personnage incontournable, qui fait et défait les officiers par dessus la tête des ministres. C'est devenu incontestablement sous son commandement une puissante "machine de guerre" malgré ses lacunes mais elle est coupée du reste du pays et du reste des Armées.

- L'aéronautique navale a été négligée. A la création de l'Armée de l'air a succédé une période d'incertitude. Ses effectifs de 1918 = 10 000 hommes et 2 000 appareils ne sont qu'un lointain souvenir. De jeunes officiers dirigés par le Commandant Teste ont démontré que l'on pouvait décoller d'un porte-avions et frapper un cuirassé. Mais qui les écoute ? Le Béarn sera transformé en porte-avions mais il est seul et sera désarmé à la veille de la guerre. Les hésitations entre avions embarqués et hydravions ont duré des années et ne sont pas encore tranchées.  Pourtant l'aéronavale sera la seule à disposer d'avions d'attaque. Ils seront tous sacrifiés sur l'Oise pour arrêter les panzers. 

- La D.C.A a  été totalement négligée car suivant l'aveuglement officiel, l'aviation n'est qu'une arme d'appoint destinée à un rôle secondaire.

- Ont été ignoré les troupes d'assaut. Les parachutistes allemands seront une surprise totale pour le commandement allié.

- Les effectifs des armées alliés sont conséquents mais non mobiles et dispersés sur toute la planète. L'entraînement des réservistes a été totalement ignoré. 

- Le commandement terrestre est d’une complexité extrême, dilué en de multiples délégués sur les différents théâtres d’opérations. Il y a 400 généraux. Beaucoup sont âgés, Weygand à 71 ans, Gamelin à 68 ans, Georges à 65 ans. Certes, ils pourraient être compétents, s'ils n'étaient constitués en caste, inaccessible aux critiques. De plus, ils sont pacifistes dans l'âme, curieux pour des militaires. Gamelin est le généralissime mais en réalité c'est Georges qui commande sur le front du nord-est. La Marine et l'Aviation disposent d'une totale autonomie et aucune structure ne met en commun les moyens des trois armes. La caste militaire conserve envers le gouvernement du Front Populaire une haine farouche et ne verrait pas d'un mauvais oeil la reprise en main du pays. Pétain en est le parfait exemple.

- Aucune analyse sérieuse n’a pris en compte la guerre d’Espagne qui vient de se dérouler à nos portes. Guerre à laquelle ont participé un corps d'observateurs allemands, des conseillers allemands, et la Légion Condor comprenant un groupe de blindés (Gruppe Drohne), de l'aviation (Luftwaffe) et des troupes terrestres italiennes. Les avions italiens et allemands ont expérimenté en Espagne de nouvelles tactiques meurtrières comme les bombardements sauvages des villes de Guernica (avril 1937), Durango, Barcelone (mars 1938). Les puissances occidentales ont laissé faire, se bornant à accueillir, fort mal, les sympathisants républicains fuyant les combats et la répression féroce des troupes rebelles de Franco. Ils ne vont pas tarder d'ailleurs à les interner.

Ne nous trompons pas non plus sur l’image d’une Wehrmacht fortement motorisée. Comme toutes les armées de l’époque, l’Armée allemande est fortement hippomobile. Mais ce sont les panzerdivisionen qui feront la différence.

La situation politique est lamentable. Les ministères ne durent que quelques mois. Des scandales financiers éclaboussent tous les parlementaires. Aucune politique cohérente de défense ne peut être mise an œuvre. Face à des régimes forts qui ne s’embarrassent pas de scrupules et ne respectent aucun engagement, la France s’est affaiblie. Zola disait de la guerre de 1870 que " la France était morte de la routine et de la sottise ". Rien ne s’applique mieux à cette période d’entre deux guerres.

En l’espace de 6 semaines, le couperet tombera. La France dotée, croyait-on de l’une des meilleures armées du monde sombrera dans une défaite totale qui va stupéfier le monde.

25 août 1939 , la France mobilise ses réservistes. Certains venaient à peine de rentrer chez eux après la mobilisation partielle de 1938.


1938



La seconde guerre