LES POSTES

Les postes en briques, en pierres sèches, en parpaings d'Afrique du Nord, les postes en terre d’Afrique Noire, les postes en bois du Tonkin ou de l’Annam, construit par une petite équipe du Génie, se ressemblent tous et pourtant ils sont tous différents. Lorsque c’est possible, une partie de village est réquisitionnée, les bâtiments sont ainsi tout construits. Un mur d’enceinte, hérissé de barbelés, bordé de sacs de sable, ondule suivant les courbures du terrain formant un semblant de quadrilatère. Aux angles et de place en place, des postes de combat percés de meurtrières, au mieux un semblant de blockhaus. Au plus haut, une tour de surveillance où s’ennuie à longueur de journée une sentinelle. Dans la cour ainsi formée, boueuse ou empoussiérée, des bâtiments bas, tout de guingois, mal couvert par de la tôle ondulée ou des palmes tenues par de grosses pierres. Les bâtiments sont les logements, les magasins, le réfectoire, les bureaux. L’ensemble sent le bricolage où chaque occupant a tenté d’apporter de l’amélioration. Exception notable, les casernements de la Légion Étrangère. Si l’on pouvait parler à la caserne de confort spartiate, ici le mot même de confort est à bannir. Y vivre jour après jour est une rude épreuve. Isolés dans un monde hostile, les hommes se supportent avant parfois de s'apprécier.

Quand aux avant-postes en zone sensible, c’est une simple bâtiment, une tour, un abri, construit en quelques heures. Une poignée d’hommes va y vivre plusieurs jours reliés au poste par une piste, au mieux par un téléphone de campagne, ou plus tard un poste radio. Aucun confort, aucune distraction, la nourriture arrive par la piste, sinon il faut se débrouiller. L'eau est rare, il faut parfois aller la puiser à une source pas toujours fiable. Pas d'éclairage, des bougies et des lanternes doivent suffir. Les heures n’existent plus, on compte les jours qui vous ramèneront au poste, vers les copains.


Algérie 1920 ou 1957 ?

Le vie en poste est rude. Ces postes isolés, commandés par des officiers subalternes, voire par des sous-officiers avec une poignée d’hommes occupent le terrain. Les défenseurs de ces postes en Algérie vont inventer un verbe "pitonner" pour indiquer quelle a été leur mission pendant ces journées, quand ce poste est en haut d'un piton.

Ces soldats sont, avec les missionnaires, les seuls européens que les indigènes verront. Certains soldats mutés dans les postes se dévoueront sans compter pour les villages et leurs administrés, d’autres n’y verront qu’un moyen de se faire oublier. Les hommes vont y passer des mois, des années, attendant l’attaque. Ils savent que le poste peut tomber en quelques minutes si l’ennemi y met le prix. Avec un petit effectif, les tours de garde reviennent rapidement. Toutes les quatre heures, le tour d’être sentinelle pour deux heures revient. Deux heures, le doigt sur la détente, où le moindre bruit, le moindre mouvement de feuille, met les nerfs à rude épreuve. Le moindre mouvement de feuille est suspect, le moindre frôlement d’animaux est suspect, seule l’expérience empêche de presser la détente. Les copains qui dorment à coté comptent sur vous comme vous compterez sur eux lorsque vous tenterez de prendre du repos. Fermer un œil lorsque l'on est de garde est interdit. Et qu'il fait froid pendant ces gardes. Quelque soit la saison, quelque soit le pays, le veilleur a froid, couvert des pieds à la tête, il guette. Celui qui tient le dernier tour de la nuit, n'attend qu'une chose, que le jour se lève. Et cette vie dure des jours et des jours. Ne surtout pas tomber dans la routine et l'excès de confiance.

La discipline se relâche, bien des gradés renoncent. D’autres s’efforcent de maintenir un semblant de vie militaire, exigeant la propreté, multipliant les revues, les corvées, les sorties de patrouilles pour occuper les hommes. D'autres gradés enfin y font régner une discipline de fer tels de petits potentats locaux. Les patrouilles sont le seul moment où les troupiers côtoient la population. Côtoie plus que ne participe à la vie des indigènes. D’ailleurs les rares qui s’y risquent sont plutôt mal vus. Les patrouilles tant redoutées sont cependant le seul moment exaltant de cette vie.

Les soirées sont interminables et l’on boit beaucoup pour tromper l’ennui. Ce qu'il y a de paradoxal c'est que dans l'armée aux colonies,  l'on boive beaucoup mais aussi l'on y meurt aussi beaucoup de soif.  L’ennui, ce leitmotiv qui revient sans cesse dans les lettres de soldat, l’ennui qui se révélera désastreux lorsque survient l’attaque des partisans ou des rebelles. L’ennui qui entraîne les hommes vers le suicide. Le simple mot de "cafard" devient la hantise du commandement. Parfois dans le voisinage, une mission, un poste administratif, une plantation permettent de cotoyer d'autres européens et l'on s'invite beaucoup pour "passer le temps". Un bal est un évènement exceptionnel où le commandement (quel qu'en soit le grade) doit paraitre. Il y a parfois des autochtones, mais aucune règle n'existe.

Les pertes sont incroyables. En 1881, au Sénégal la mortalité est de 40 %, on ne peut incriminer une" vie à la française" car les Britanniques ont des pertes semblables. L’hygiène devient une obsession. Mais rien n’y fait : dysenterie, choléra, fièvre jaune, paludisme existent à l’état endémique et la médecine est encore bien incapable de les traiter. Il faudra attendre les années 1920 pour que la situation s’améliore. Les conditions climatiques sont pour beaucoup dans les dégradations de l'état de santé y compris des autochtones. Le passage du médecin est un évènement. En forêt équatoriale, il ne fait jamais moins de 25° bien que certaines nuits soient fraiches. La saison des pluies déversent sur les postes des torrents de pluie qui noient tout. A la saison sèche ce serait plus agréable s'il n'y avait le manque d'eau.

Les petits-fils de ceux qui construisent et occupent ces postes en cette fin de XIXème siècle et débuts du XXème siècle tiendront les mêmes postes, aux mêmes endroits en Indochine, en Afrique Noire, en Guyane, et en Afrique du Nord.


1958 avant-poste
Seuls les véhicules nous permettent de situer la période.


La vie de Garnison



La Grande Guerre