LES FEMMES

On parle peu des femmes dans l’histoire militaire. Elles n’apparaissent, dans les livres d’histoire, qu’au moment des guerres lorsqu’elles suppléent au travail leurs hommes partis au front. Elles sont pourtant toujours dans l’ombre derrière les soldats.

Inévitablement, elles participent indirectement aux conflits : fabriquant les armes, les vêtements, conditionnant les vivres, soignant, remplaçant les hommes dans toutes les fonctions qu’ils ont abandonné.

XVIII° et XIX° Siècle

Nous connaissons très mal les conditions de vie des femmes françaises durant les campagnes de la Révolution et de l’Empire, celles du Second Empire, et la guerre de 1870. Comme nous connaissons mal les déchirements des mères voyant partir un fils aux Armées pour 5 ou 7 ans. Ce ne sont pas ces dernières qui ont pu nous léguer leurs sentiments, faute de savoir écrire.

Nous avons par contre des informations sur les femmes rencontrées par les soldats au cours de leurs campagnes. Les Allemandes, les Italiennes et surtout les Polonaises (Napoléon donne l’exemple) sont décrites dans les lettres des soldats. Vantardise, imagination ou réalité, les succès que les soldats de Napoléon remportent auprès des dames ? Les prisonniers en Angleterre trouveront quelques charmes aux Anglaises rencontrées au cours de leur captivité. Quelques femmes suivent les armées en campagne.

Quelques cas de femmes engagées régulièrement ou déguisées en soldat sont cités. Elles doivent être suffisamment nombreuses pour que la Convention décrète leur exclusion de l'armée le 30 avril 1793. Un petit pécule leur est versé pour qu'elles rentrent chez elles. La demande de certaines de rester dans l'armée est refusée par la Convention le 26 juin 1793.

Plus officiel est le statut des vivandières ou cantinières. Quelques unes ont installées leur boutique à l’entrée immédiate des quartiers et ce sont les seules femmes autorisées à y pénétrer. Elles vendent aux soldats divers babioles, gâteaux et autres douceurs. Leurs boutiquent vont fermer dès que les foyers du soldat vont être créés. Mais elles suivent aussi les armées en campagne. Elles sont partie intégrantes de la Grande Armée. Souvent mariée (ou presque) à l’un des soldats, elles suivent la troupe juchées sur des carrioles contenant les vivres qu‘elles vendent a la halte, et le butin récolté. Nous trouvons également dans les fourgons, les femmes légitimes d’officiers et de généraux. Elle suivent tant bien que mal. Nous découvrons aussi que ces femmes sont accompagnées parfois d’enfants en bas age. Dans la retraite de Russie, elles subiront le sort commun succombant dans la neige et le froid.

Des femmes qui comptent dans la vie du soldat sont totalement oubliées par l'Histoire. Celles qui exercent "le plus vieux métier du monde". Pensionnaires des maisons closes ou filles des B.M.C.. Leur présence est admise, leur santé et leur hygiène sont souvent surveillées par le Service de Santé. Elles n'avaient pas d'armes et ne montaient pas au combat, pourtant bien souvent elles se trouvaient au coeur des évènements. Surprises dans un poste du bled, attaquées au sein d'une colonne, encerclées comme à Dien Bien Phu, elles subissent souvent un sort plus cruel que celui des soldats. Ces dames des "plaisirs éphémères" n'ont à attendre aucune clémence des vainqueurs qui après les "avoir utilisé" les liquident sans scrupule. Elles n'avaient pas de nom, parfois juste un prénom. Elles ne vivent que dans la mémoire de quelques vétérans.

1914-1918

Pour le premier conflit mondial, les historiens se sont mieux intéressés au sort de la femme.

A la mobilisation, pour les femmes des villes, leur enthousiasme est l’égal de celui des mobilisés. Dans les villages et les campagnes, il en va tout autrement. Les femmes savent la somme de travail que va représenter le départ des hommes, surtout en ce plein été 1914. Elles savent aussi que la guerre n’est pas aussi fraîche et jolie que les autorités veulent le dire. Ce sont les paysans qui tombent les plus nombreux dans les batailles. 56 % des Français vivent alors dans des villages de moins de 2 000 habitants.

Les villageoises du Nord de la France, de Lorraine et d'Alsace, dès les premiers jours de la guerre, vont voir déferler des milliers de Belges fuyant leur pays. Même si l'on ne croit pas totalement le récit des exactions des hordes allemandes (à tort car à Dinant en Belgique : 700 civils massacrés) on se prépare à partir. A leur tour devant l’avance allemande, 150 000 civils français fuient sur les routes. Les fermes, les ateliers, les usines sont abandonnés.


Exode 1914

Voilà femmes et enfants devenus des réfugiés. 1 000 000 de personnes seront évacués en 1915. Ils ne rentreront dans leur village pour certains qu'en 1917 à la suite du recul allemand mais pour la plupart en 1918.

Dans ces régions tenues par les Allemands, toutes n’ont pas fuit. Leurs conditions de vie vont être très difficiles. Elles n’auront aucune nouvelle des mobilisés pendant toute la guerre. Ce ne sont pas les quelques messages transmis par la Croix Rouge, en passant par l’Espagne et la Hollande, qui parviendront à atténuer leur angoisse. Ces populations restées sur place, femmes, vieillards et enfants subissent les pires humiliations. Coupées totalement du reste de la France, elles ne savent rien de la situation militaire. Femmes et jeunes filles sont raflées par les autorités allemandes pour les travaux des champs dont la récolte est réquisitionnée pour la nourriture des troupes d’occupation. D’autres encore sont déportées en Allemagne avec les jeunes garçons pour travailler en usine. Dans les champs elles travaillent 13 heures par jour sous la surveillance constante d’un chef de culture. Il ne reste plus de temps pour s’occuper de ses propres récoltes. Pourtant certaines vont tenir tête aux allemands. Des femmes s’improvisent maire, garde-champêtre, maréchal-ferrant. Seuls les curés partis au front n’ont pas leur remplaçant féminin. Des femmes transforment leur maison en ambulance. Des femmes, à vélo, vont chercher le courrier au bourg voisin et le distribue. Des femmes qui jour après jour recueillent les soldats alliés en fuite et les acheminent vers la Hollande. Les Allemands furieux évacueront d’office encore 42 000 femmes, enfants et vieillards des territoires occupés au plus fort de l’hiver en janvier 1917. Passons sous silence les quelques centaines de femmes qui vont collaborer avec l’occupant.

Dans le reste du pays, toutes les femmes, celles des villes et celles des campagnes, mère, épouse, fiancée, sœur, vivent dans l’attente des nouvelles du soldat. Nouvelles rares, lorsque l’absent ne sait pas écrire. Elles guettent le passage du facteur, l’arrivée des permissionnaires. Elles suivent, avec anxiété, les déplacements du maire et du curé et ceux des gendarmes, annonciateurs de mauvaises nouvelles. Certains maires n’osent plus sortir pour informer les familles des tués. On convoque un membre de la famille sous un motif futile à la mairie. Les lettres arrivent après quelquefois des jours et des jours de voyage, malgré les efforts louables des autorités. Pauvres lettres de soldats, à l’adresse délavée, écrites sur les genoux dans un coin de tranchée. Lettres au propos retenus pour ne pas inquiéter. Lettres parvenant parfois après l’annonce officielle du décès du destinataire. Lettres de l’épouse, de la fiancée revenant à la famille avec la mention “n’a pu être joint”, annonciateur de mauvaises nouvelles. Lettres par lesquelles le mari au front dirige sa ferme, son atelier indiquant ce qu’il convient de semer, de fabriquer. Blessé, prisonnier, sont presque de bonnes nouvelles, au moins leur homme est à l’abri pour un moment.


Courrier

Les femmes doivent sans cesse effectuer des démarches pour obtenir les aides financières qui leur permettent de vivre avec un coût de la vie qui galope, car les profiteurs sont légion. L’allocation aux femmes de mobilisés est de 1,25 francs par jour + 50 centimes par enfant à charge. Le pain vaut 40 centimes le kilo, la viande 1,50 francs. Et ces denrées vont devenir rares. Des restrictions vont apparaître très vite. A Paris, sera instituée une carte de rationnement. Mieux vaut être riche et égoïste mais mieux vaut être paysanne que citadine. Celles qui ne peuvent travailler vivent dans la misère. Rappelons qu’un couple d’ouvriers parisiens gagnait 13 francs par jour avant la mobilisation.

Elles travaillent aux champs alors que 600 000 chevaux ont été mobilisés. 300 000 d’entre-elles deviennent unique chef d’exploitation. Les vieillards et les enfants doivent également travailler. N’oublions pas que 60 % de la population active est aux armées. Ces vieillards épuisés par 50 ans de dur labeur, reprennent le travail. La mécanisation n’a pas encore atteint complètement les campagnes et beaucoup de travaux se font encore à la main.

Les femmes portent les valises dans les gares, sont conductrices de taxi, d’autobus, travaillent en usine. Les usines d’armement tournent avec un effectif à majorité féminin. Devant leur inexpérience, il faudra bien faire revenir du front des milliers d’ouvriers spécialisés. Mais elles vont apprendre très vite. Elles vont retrouver dans les ateliers, les ouvriers spécialisés revenus du front, des jeunes garçons de moins de 18 ans, des mutilés, des inaptes au combat, des Kabyles, des Sénégalais, des Chinois et Indochinois et des prisonniers de guerre allemands. En 1918, elles sont 430 000 dans les usines. Chez Citroën, elle sont 60 % des effectifs, mais 29 % chez Renault à la fabrication des chars. Elles sont surtout très nombreuses dans les fabriques d’obus. Cela ne va pas sans heurts, notamment avec les spécialistes revenus du front qui craignent que les femmes ayant acquis de l’expérience, on ne les renvoie au combat. Ce qui arrivera. Les fabriques d’obus sont un enfer. Les femmes vont y travailler, par équipes de jour et de nuit, 10, 11, voire 12 heures par jour, avec 2 jours de repos par mois. Maniant des tonnes d’obus. Il n’y a plus de droit ouvrier, ni de lois sociales. Suite à de longues grèves, il faudra attendre 1917, pour que ce droit soit un peu remis en application, 10 heures par jour de travail, repos le dimanche, interdiction du travail de nuit pour les moins de 18 ans (Ces aménagements n’empêchent pas la production. La France produit 300 000 obus par jour en 1917).

Mais c’est surtout l’image de la femme en blouse bleue ou blanche que le soldat va retenir. Celle de l’infirmière qui va lui tenir la main pendant sa souffrance. Celle qui va lui donner à boire. Celle qui va le soutenir dans ses premiers pas. Rappelons que 3 millions de soldats français furent blessés pendant la Grande Guerre et certains plusieurs fois. Sans compter les malades.

Les femmes commencent à voir passer les premiers trains de blessés qui descendent du front. Blessés si nombreux qu’on va les expédier jusqu’à Montauban et même Lourdes. Alors les femmes vont s’investir dans les différents corps de santé, civils ou militaires.

A la mobilisation de 1914, elles sont 23 000 à rejoindre le front et les hôpitaux. En 1918, elles sont 100 000 réparties entre les hôpitaux militaires, les hôpitaux privés, les services de rééducation. Ces services médicaux vont recevoir l’aide de femmes de tous les milieux, de toutes conditions. Illustres ou inconnues vont se côtoyer. Marie Curie va se dévouer au front avec ses voitures radiologiques (payées par des familles fortunées). Des filles de la bourgeoisie vont suivre des cours d’infirmières et découvrir la vie bien différente de leur éducation. Des jeunes filles de condition moyenne vont se valoriser, d’innombrables oeuvres vont s’ouvrir (cigarettes du soldat, vêtements chauds du soldat, paquets du soldat). Les enfants vont se trouver entraînés dans ces oeuvres charitables. Si certaines de ces œuvres peuvent paraître dérisoires, elles apparaissent aux yeux du soldat comme un soutien des femmes de l’arrière. D’innombrables marraines de guerre vont échanger une correspondance suivie avec des soldats qu’elles ne verront peut-être jamais.

Les enfants justement, le gouvernement y fait souvent allusion. Il faut faire des enfants, et de multiples aides vont apparaître pour améliorer la natalité. Faire des enfants alors que l’homme est absent ? Alors que mettre un enfant au monde est un risque toujours constant. 5 femmes sur 1000 meurent en couches et 45 enfants sur 1000 meurent à la naissance, 15 % meurent avant I an. La natalité reste faible dans ces années de guerre. Elle remontera en 1919, 1920 et 1921 avec le retour des soldats.

Et puis un jour, la guerre est finie. Qui va apparaître au bout du chemin et dans quel état? Les enfants vont-ils reconnaître un père quitté depuis 4 ans. Le retour du soldat ne s’opère pas toujours dans d’excellentes conditions. Il veut reprendre sa place, toute sa place aux champs et à l’usine. Les femmes en ses 4 années de guerre ont goûté à l’indépendance. La femme de 1919 ne ressemble plus à celle de 1914. Mais très souvent, elles vont rentrer dans l’ombre, élever des enfants qui à leur tour partiront à la guerre dans 20 ans. L’infirmière de 1914-1918 est un précurseur qui va entraîner dans son sillage un nombre de plus en plus élevé de femmes qui vont s’investir dans le Service de Santé où elles vont voir leur nombre croître sans cesse.


L'abolition du service militaire



suite les Femmmes