DIEPPE 1942

 

 

 L'année 1942 voit s'intensifier la lutte contre les militants communistes, contre les syndicalistes, contre les résistants. Ceux qui avaient pu échapper aux rafles en 1940 et 1941 sont arrêtés. Leurs noms vont alimenter jour après jour les listes de fusillés publiées dans la presse. Selon Vichy "La lutte contre le communisme est un devoir national". La presse se félicite d'un beau coup de filet de la police locale pour l'arrestation de 5 communistes.

A coté de ces avis d'éxécutions, on peut lire l'appel aux volontaires pour combattre sur le front de l'est au sein de la L.V.F. et l'appel à de nouveaux ouvriers pour travailler sur les chantiers de l'organisation Todt ou les entreprises allemandes. Force est de constater que le chomage est en nette diminution. Faut-il s'en réjouir ?

 

 Le maire de Dieppe demande à tous ceux qui n'ont pas de raison de rester en ville de partir chercher un refuge dans les communes de l'intérieur. En avril et mai, les habitants de l'île du Pollet, d'une partie du quartier du Bout du Quai, du boulevard de Verdun, de la rue Alexandre Dumas et de l'esplanade du Vieux Château sont évacués (toutes les habitations ayant vue sur la mer). Les rues conduisant à la plage sont barrées par de très épais murs de béton. La circulation à bicyclette est interdite entre 20 h et 6 h.. On ne parle pas des automobiles, il y en a tellement peu. Le 4 juin, un train de 40 enfants part pour Issoire. Le 20 juin, un train est mis en place entre Dieppe et Auffay (30 kms) pour emmener la population chaque soir et la ramener au matin pour travailler. En octobre, 26 enfants sont envoyés en Suisse.

Les bombardements alliés continuent les 8 mai, 29 au 30 mai (Neuville), 2 juin, 3 juin, 5 juin, notamment sur le port, provoquant une coupure générale du gaz sur toute la ville et la rupture d'un collecteur d'eau usée. Faute de matériaux contingentés et de main d'oeuvre, les travaux de remise en état, trainent en longueur. La Kriegsmarine (Marinehafenbauabteilung de l'ingénieur Weiss) fournit le ciment pour réparer. Le 19 août, cependant les travaux ne seront pas tous exécutés.

En juin 1942 est rouverte une institution que connaissent tous les Dieppois, le centre de formation professionnelle pour les jeunes de 14 à 17 ans : l'Emulation Dieppoise (créée en 1876). Au moment où cette institution a quitté ses anciens locaux pour d'autres plus fonctionnels, un hommage est dû à ceux qui l'ont mise en place.

 

Bombardement sur Dieppe

Archives Royal Air Force

 
 L'année est surtout marquée par le raid anglo-canadien du 19 août 1942 (1). En plus des pertes militaires alliés, 40 civils dieppois perdent la vie. Les destructions sont nombreuses. Tous les immeubles du front de mer ont brûlés ou sont très endommagés. La manufacture des tabacs brûle pendant plusieurs jours. Il faut signaler le travail douloureux que va exécuter une équipe de sapeurs-pompiers et de volontaires sous les ordres du capitaine Haas de la Standortkommandantur. Ils vont rassembler les corps des soldats alliés qui sont inhumés à la hâte dans les cimetières communaux. Sur l'ordre de l'officier allemand, responsable des sépultures sur le front de l'ouest, les corps seront exhumés puis inhumés de nouveau au tout nouveau cimetière des Vertus. Des "volontaires" vont également ramasser les corps qui s'échouent pendant plusieurs jours sur les galets pour les déposer au cimetière. Les soldats alliés, surtout Canadiens, y reposent toujours.

1939    

 

     1942      

( coll.J.D.)

 

Archives Ville de Dieppe

 

 

 

Le retour des prisonniers

 Le maire René Levasseur, appuyé par le sous-préfet Michel Sassier, refuse les 10 millions proposés par le Kreiskommandant Meyer que les Allemands offrent à la ville pour remercier la population de sa prétendue aide aux troupes allemandes lors du raid. Est refusée également la Croix de Fer décernée à la ville. A la place, le maire demande la libération des prisonniers de guerre originaires de Dieppe. Cette demande remonte jusqu'à l'O.K.W. puis jusqu'à Hitler qui accepte le marché. La première liste de 580 noms élaborée par la municipalité et la sous-préfecture ne devait comporter que les soldats résidant à Dieppe à la déclaration de guerre. Un marchandage s'instaure pour qu'une deuxième liste, puis qu'une troisième liste soient rédigées. Elles comportent en plus des dieppois oubliés dans la première liste, les soldats originaires des communes voisines, puis d'autres encore de communes plus éloignées. Jouant sur les mots contenus dans l'accord on arrive à 1800 noms. Ils sont 1 581 prisonniers de guerre (2) à être libérés de leur stalag et offlag à partir du 12 septembre 1942.

La propagande allemande s'empare de cette libération anticipée et organise une vaste manifestation à Serqueux pour le retour du premier convoi (984 rapatriés). Après les discours, le train repart pour Dieppe où malgré l'interdiction 10 000 personnes attendent les prisonniers libérés. La foule silencieuse attend et lorsque apparaissent les premiers soldats, cette foule rompt les barrages allemands qui laissent faire.

Le 20 septembre, le P.P.F. organise une manifestation pour fêter le retour des prisonniers. Dans l'assistance une bonne centaine de spectateurs et 6 prisonniers libérés. Ce qui montre l'audience du principal parti de la collaboration.

Le second convoi ramène à Dieppe 316 prisonniers, sans discours ni cérémonie. Il faut attendre le 15 mai 1943 pour voir arriver un troisième convoi avec 281 libérés. Un quatrième convoi n'arrivera jamais. Ce geste de clémence allemand, unique dans l'histoire de la guerre cache mal une vaste opération de propagande des autorités allemandes et du gouvernement de Vichy. Les Dieppois ne seront pas dupes et la collaboration n'aura pas plus de succès à Dieppe qu'ailleurs en France. Une indemnité financière est quand même allouée à Dieppe pour sa reconstruction. La plus grande partie sera utilisée à Rouen.

Fiche de démobilisation allemande

Fiche de démobilisation française

Lettre aux libérés

Fiche de Libération

Documents aimablement confiés par Madame Françoise Dauzou, fille du prisonnier libéré Lucien Costentin - Tous droits réservés.

Plusieurs organisations prônant la collaboration avec l'occupant ont vu le jour. Il ne semble pas qu'elles aient rencontré un grand succès à Dieppe.

 Les Allemands finissent de détruire le casino (destruction commencée avant le 19 août) et les immeubles du front de mer pour élargir leurs champs de tir. Le Mur de l'Atlantique en construction voit ses ouvrages démultipliés. Une armée d'ouvriers sous la direction de l'Organisation Todt s'y emploie. Des ouvriers "volontaires" car il faut bien vivre (et échapper au S.T.O.), mais surtout des ouvriers requis, Français, Belges et Hollandais, et des prisonniers de guerre, véritables esclaves. En 1944, il y aura 171 grands ouvrages bétonnés sur 12 kilomètres de côte. Rommel estimant que le travail mené par l'organisation Todt est insuffisant, exige un travail supplémentaire exécuté par la troupe.

 

 Le Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) est institué par les décrets du 19-9-42 et 27-3-43, sous la direction du Gauleiter Sauckel (pendu après le Tribunal de Nuremberg). Le S.T.O. contraint les ouvriers français à travailler pour le compte de l'occupant en les envoyant en Allemagne. Sont visés les jeunes des classes 1940 à 1945 sans emploi. Les mairies sont chargées du recensement. Le maire de Neuville lès Dieppe, Jean Puech, paiera de sa vie son refus de donner aux Allemands les listes de ses administrés concernés par le S.T.O.. Il mourra à Dachau le 14 janvier 1945. Avec les complicités des employés municipaux, de la Police et des gendarmes, tous les moyens sont bons pour échapper au S.T.O. : travail sur les chantiers Todt ou de la Luftwaffe, fausse adresse, travail fictif chez un cultivateur, embauche dans les chemins de fer, les PTT, dans les Administrations. Les fausses cartes de travail se fabriquent de façon continue et clandestine chez les imprimeurs.

Mais tous ne peuvent échapper aux rafles, aux perquisitions et partent pour l'Allemagne. Un Comité d'entraide va se créer pour leur venir en aide. D'autres travailleurs se voient transportés d'un chantier à l'autre dans la région.

 
 

 
 Les restrictions de font de plus en plus sévères. Les cartes d'alimentation donnent droit à de moins en moins de denrées. Il va s'établir tout un trafic de fausses cartes. Les sanctions contre le marché noir sont aggravées, mais seuls les petits trafiquants sont inquiétés. Pour palier aux insuffisances, la mairie distribue des bons de savon, de rhum, d'alcool à brûler, de charbon, de pâtes. Des colonnes entières dans la presse concernent le ravitaillement. Des commerces qui n'ont pas respectés les règlements sont fermés, accroissant ainsi les difficultés. Ce n'est plus une économie de restrictions mais une économie de pénurie et de troc. C'est le règne des "ersatz". Semelles de bois pour remplacer le cuir, café fabriqué avec des glands de chêne, savon dont il faut mieux ignorer la composition, saccharine pour remplacer le sucre. Tout est récupéré. Le 14 novembre 1942, a lieu la distribution de charbon : 10 kilos par personne pour le mois. Le ticket de vin n'est pas honoré. On remplace tout par un rien. C'est le règne du topinambour et du rutabaga. Toute une jeunesse sera élevée avec ces légumes. Pour tout arranger, les cultures de pommes de terre sont menacées par une invasion de doryphores. Les autorités mobilisent les enfants des écoles pour leur destruction. Il est difficile de ne pas voir un parallèle entre l'invasion des soldats allemands et ces bestioles. Les rendements de la pêche ne peuvent remplacer le manque de viande. En 1942, les marins ont débarqué 121 tonnes de poisson à Dieppe.
 
 Il sera bientôt indispensable de déposer préalablement ses tickets chez un commerçant qui vous inscrira sur une liste d'attente. Vous n'obtiendrez vos denrées que lorsque ce commerçant aura lui même été approvisionné et que l'avis de distribution sera paru dans le presse. La rubrique ravitaillement tient toujours une partie importante dans cette presse qui donne peu d'informations sur la guerre en cours. Et sur ces maigres allocations, les épouses, les mères font faire des miracles pour continuer à envoyer des colis à leur prisonnier, car tous les prisonniers dieppois n'ont pas été libérés.

 
 

 

affiche clandestine

 La presse annonce des pertes de navires et d'avions alliés énormes mais passe sous silence les pertes allemandes. Ceux qui suivent sur une carte les opérations s'aperçoivent cependant que derrière les mots "victorieux combats défensifs, replis stratégiques, retraite élastique" se cache un nouveau repli des troupes allemandes en Russie, en Afrique du Nord puis en Italie.

Ce que la presse cache, ce sont les réquisitions et pillages effectués par les Allemands, fourrage, grains, bovins, ovins, chevaux, pommes de terre, légumes, laitage, métaux non ferreux. Des machines outils aux chevaux et aux objets d'art tout prend le chemin de l'Allemagne. Sur place l'occupant réquisitionne également pour ses besoins locaux, avoine, bicyclette, etc. Tout ce qui est métal disparaît, les statues de Vauquelin, de Saint-Saëns partent à la fonderie. Des trains complets de denrées et de matériels pillés roulent vers l'Allemagne.

 vers 1943

 (1) Détails dans le site : Objectif Dieppe opération Jubilée

(2) la liste des prisonniers de Dieppe revenus dans les convois 1 et 2 figure dans le Connaissance de Dieppe de Septembre 1990