DIEPPE 1944

 Au début 1944, malgré leurs revers en Russie, les troupes allemandes conservent à l'ouest de l'Europe toutes leurs conquêtes. Ils occupent la Norvège, le Danemark, les Pays Bas, la Belgique, le Luxembourg et la France. Toute la France métropolitaine et la Corse sont maintenant sous la botte nazie après l'occupation de la prétendue zone libre en novembre 1942. Les troupes alliées après leur débarquement en Afrique du Nord ont vaincu l'Afrikakorps de Rommel. Après le débarquement en Sicile, ils remontent la botte italienne au prix de très durs combats.

Dans le Pacifique, les Américains après de lourds revers ont entrepris la reconquête une à une des îles du Pacifique. Les Japonais au prix de pertes très importantes s'accrochent. Sur le front de l'est, Stalingrad avec la capitulation d'une armée allemande avec ses 330 000 hommes et 24 généraux en janvier 1943 marque la reprise de l'offensive des armées soviétiques qui infligent aux troupes allemandes défaites sur défaites.

Le nord-ouest et l'ouest de la France sont désormais placés sous l'autorité du Groupe d'Armée B du Feldmaréchal Rommel (7ème et 15ème Armées = 36 divisions). Pour la région de Dieppe, c'est la 245ème Division d'infanterie (général Erwin Sander) dont le Q.G. est à Saint Vaast d'Equiqueville qui veille sur la côte (elle remplace la 302ème Division qui a repoussé le raid anglo-canadien du 19 août 1942 et qui est maintenant en Russie où elle sera anéantie).

 

 La division retranchée dans les ouvrages du Mur de l'Atlantique peut compter sur le renfort de la 2ème Panzerdivision (général Von Luettwitz). Avec ses régiments de panzergrenadiers et d'artillerie divisionnaire, elle est affectée au Groupe Panzer Ouest (Général Geyr von Scheppenburg). Toutes unités qui bivouaquent aux alentours de Beauvais après leur arrivée de Russie en janvier. Une autre Panzerdivision, la 116ème Panzer (général von Schwerin-Krosigk) accompagnée de ses régiments de panzergrenadiers est stationnée autour de Rouen. Les Panzerdivisionen sont sous l'autorité directe d'Adolf Hitler qui seul décide de leur déplacement. A gauche de la 245ème D.I., la 348ème D.I. tient une autre partie de la cote vers Fécamp, plus loin la 346ème D.I. au Havre, également autour du Havre, la 17ème Division d'infanterie de la Luftwaffe et au delà de la Seine la 711ème D.I . En seconde ligne se tient la 84ème Division d'infanterie. Ces divisions d'infanterie sont statiques, manquent de moyens de transport et généralement considérées comme au repos. Les Dieppois remarquent également que de relève en relève la moyenne d'âge des soldats allemands s'est élevée. A la place des jeunes soldats vainqueurs de 1940, sont arrivés des hommes plus âgés, déjà marqués par les combats. Ces divisions d'infanterie n'interviendront pas dans la bataille de Normandie.

Dès sa prise de commandement, convaincu que c'est dès la côte qu'il faut arrêter les alliés, Rommel fait édifier des millions d'ouvrages de défense qui vont de l'énorme blockhaus de béton aux pieux de bois surmonté d'une mine. Ces mines sont plusieurs millions dispersés sur les plages et dans la campagne. A la suite du 19 août 1942, les batteries côtières ont été considérablement renforcées, des points d'appui ont été créé (stuzpunktgruppe). Des milliers de prisonniers et d'ouvriers requis travaillent jours et nuits au Mur de l'Atlantique. Mais Rommel n'est pas satisfait lors de sa visite en Normandie au printemps 1944, il fait accélérer les travaux et mobilise les soldats pour travailler aux fortifications.

DIEPPE : Dieppe a été organisé en place forte. De l'est à l'ouest de la ville, c'est une suite ininterrompue d'ouvrages, hérissés de canons, de nids de mitrailleuses, protégés par des réseaux serrés de barbelés, (les historiens relèvent un ensemble de 229 ouvrages uniquement dans un carré de 2 kilomètres de coté protégeant l'ensemble de radars installés sur la falaise ouest). Toutes les anfractuosités du terrain ont été mises à profit. Dans ce vaste périmètre, ce sont rassemblées des forces importantes : Werhmacht, Luftwaffe et Kriegsmarine, (notamment 2 régiments d'infanterie et un d'artillerie pour la seule ville). La ville est entourée par un fossé anti-char. Les rues d'accès à la plage sont barrées par d'imposants murs de béton. Malgré leur imperfection, les radars installés sur les falaises inquiètent également les alliés (type Freya et type Wurzburg). En savoir plus sur ces radars était l'un des objectifs du raid du 19 août 1942.

 

 

 La répression s'intensifie, tout délit est passible du Tribunal Militaire, des ouvriers qui s'étaient mis en grève écopent de peine de prison et deviennent de fait des otages. Les autorités d'occupation recensent les véhicules automobiles.

La municipalité s'en remet au ciel pour améliorer le sort des habitants. Un appel à la Vierge Marie est organisé le 8 février en l'Église Saint Jacques, toutes les personnalités sont là. Cette démarche n'améliore pas l'approvisionnement en vivres et matières premières et n'arrête pas les bombardements. Pour tous vieux vêtements rapportés en mairie, il est attribué des points de textiles supplémentaires. La pêche n'amène pas la nourriture escomptée, 9,55 tonnes sont livrées en janvier au prix de la perte du canot Petit Martial et de ses 3 membres d'équipage (explosion d'une mine). Les restrictions d'électricité se font plus importantes, le gaz va être coupé prochainement. Fermeture des débits de boisson et restaurants un jour par semaine.

Le 20 janvier est publié le "plan d'évacuation totale de la zone cotière de l'Arrondissement de Dieppe". La facheuse expérience de juin 1940 a été prise en compte. Cette fois tout est prévu "en cas d'événements militaires graves". Dans un document resté secret jusqu' janvier 1944, la Sous-préfecture et la mairie ont élaboré un plan. Les routes d'évacuation, les lieux de rassemblement, les poches d'accueil, les véhicules (pour les malades), les secours et les responsables jusqu'au plus petit niveau sont désignés. Avant H-5,après la mise en place des affiches et une sonnerie de clairons (heure H), 3 000 personnes doivent rejoindre leur domicile de refuge situé hors de la zone cotière par leurs propres moyens. A H+5, 8 000 personnes doivent prendre la route (la plupart à pied) vers le canton de Bellenchombre ou le canton de Neufchatel suivant leur secteur d'origine. Leurs bagages suivront (si possible). 1 505 personnes désignés par le Maire et le Sous-Préfet doivent rester à Dieppe pour assurer la sécurité. Ce plan très minutieusement élaboré n'entrera jamais en application. Un seul paramètre semble avoir été oublié = les combats.

Le 21 mars, les Allemands réquisitionnent les appareils de radio. Les habitants de Seine Inférieure livrent 90 000 postes sur 130 000 postes recensés. Presque tous les postes restitués ont été rendus inutilisables par leur propriétaire. La presse devient le seul moyen officiel d'informations. Cette presse d'ailleurs semble prendre un virage. Elle fait mention des rassemblements de troupe dans le sud de l'Angleterre et de l'éventualité d'un débarquement. Elle parle aussi des bombardements sur les villes allemandes. Elle est toujours contrainte de faire paraître les avis officiels de l'occupant. Interdiction de circuler entre 23 h et 5 h. A l'intention des médecins et infirmières : obligation de déclarer les blessures par balles ou explosifs sous peine de mort.

 

 

 Les bombardements alliés s'intensifient dans le cadre de la préparation au débarquement. De nuit comme de jour, les sirènes d'alerte mugissent. Le 25 février, bombardement de nuit, plusieurs immeubles sont touchés et une drague est coulée (1 mort). 13 avril puis du 18 au 24 avril pendant 6 jours consécutifs, les bombes explosives et incendiaires font 3 tués. 3 avril 1944, les résistants font sauter 14 locomotives au dépôt de Dieppe par une équipe de 5 hommes du réseau Léopard : René Charles, André Mallet, Bernard Bellin, Christian Dujardin, Jacques Bourreaux (seul René Charles survivra à la guerre).

Dieppe va t-elle subir le sort de Rouen et du Havre où les victimes se comptent par centaines ? Le P.C. de la Défense Passive est transféré dans l'abri de la Biomarine. Le 5 mai, la mairie décide d'évacuer 83 personnes sur l'Eure et Loir. (Le même jour, un important bombardement détruit Rouen, l'imprimerie du Courrier est détruite, il n'y aura plus que 2 numéros). Le 12 mai, un important bombardement détruit la gare de triage de Rouxmesnil-Bouteilles, 16 civils perdent la vie dont une famille de 9 personnes. Toutes les voies ferrées sont coupées, aucun train ne circule plus. Les 19 et 20 mai, nouveaux bombardements sur la ville : 32 tués. 29 mai : 150 points de chute. Le 24 mai : 3 tués. Le 2 juin : 2 tués. Le 17 juin, c'est le cimetière qui est touché.

Les avions alliés subissent également des pertes et de nombreux avions s'abattent dans la campagne. A Rouxmesnil-Bouteilles, un B.24 qui s'écrase, entraîne dans la mort 2 habitants et les 8 membres d'équipage, à Saint Nicolas d'Aliermont ce sera en juillet, un Lancaster qui s'abat : 7 membres d'équipage tués, à Ancourt un B24 est abattu par la Flak : 6 tués. Les villes et villages du littoral ne sont pas épargnés, bombardement à Varengeville sur Mer, à Sainte Marguerite, à Criel, au Tréport, à Berneval (rasé à 80%), à Saint Aubin sur Scie (où est établi un aérodrome). Les Dieppois se rassurent lorsque les avions alliés passent à haute altitude en route pour les villes allemandes, laissant derrière eux leurs panaches de condensation. On tente de les compter, mais ils sont trop nombreux. La B.B.C. parle de groupes de mille bombardiers !

 

  Recensement des jeunes des classes 1943 et 1944, les tickets d'alimentation leur seront remis personnellement à l'occasion de ce recensement. Les Allemands réquisitionnent tous les hommes disponibles, mais aussi des femmes pour renforcer la construction du Mur de l'Atlantique et les installations de V1. Parallèlement, une campagne de recrutement de volontaires se met en place, recrutement pour la Luftwaffe, pour le Génie, pour les transports, pour la Kriegsmarine. Difficile de dire combien sont à s'engager ? Le 9 mai, ce sont les jeunes de la classe 1945 qui sont recensés.

Toute une population attend. Quand va cesser le cauchemar ?